Syrie : itinéraire d’un jihadiste français en quatre étapes

Des centaines de Français ont rejoint les rangs du jihad en Syrie. Jeunes, fanatisés, ou simplement écoeurés par le drame du peuple syrien, ils se battent à Alep, Homs ou Damas. Tous partagent le même objectif – faire tomber Bachar al-Assad – et aussi, bien souvent, le même itinéraire.

Alors qu’on ne compte qu’une poignée de Français dans les rangs des jihadistes en Afghanistan, au Mali ou en Somalie, ils seraient près de 700 en Syrie, selon des chiffres des services de renseignements repris dans plusieurs déclarations du ministre de l’Intérieur, Manuel Valls. Près de 250 seraient formellement engagés dans les combats contre Bachar al-Assad tandis que 21 d’entre eux y auraient déjà trouvé la mort.

Derrière les engagements individuels et la diversité des profils de ces apprentis jihadistes se cachent souvent des itinéraires qui présentent de nombreux points communs. Nous vous proposons d’en découvrir quatre, les plus évidents, qui émanent de plusieurs témoignages de ces combattants dont le retour inquiète les autorités de l’Hexagone.

1. La radicalisation sur le Net

Selon les services français, un candidat au jihad en Syrie sur cinq serait un converti. C’est en 2009 que Nicolas, jeune Toulousain de 30 ans, annonce à ses parents qu’il devient musulman. Titulaire d’un BEP vente, il arrête de boire de l’alcool, s’enferme dans la lecture du Coran et se met à fréquenter assidûment la mosquée. En mars 2013, il débarque en Syrie.

Salahudine explique quant à lui s’être auto-radicalisé, encore plus rapidement. Il évoque, dans un entretien avec France 24, une « prise de conscience » intervenue loin des mosquées, sur Internet, en regardant des vidéos et notamment des interventions d’Oussama Ben Laden. « Dès le début du conflit syrien, en 2011, j’ai mal supporté l’indifférence du monde à l’égard de mes frères musulmans », explique-t-il dans son témoignage.


« Au début, je ne savais pas quoi penser. Dans les mosquées françaises, on ne te parle pas de ça. On ne te dit jamais que, dans un contexte d’affrontement, l’islam, c’est œil pour œil, dent pour dent. Ça, je l’ai appris sur Internet », ajoute-t-il. « Ce n’est pas dans les mosquées que ces recrutements s’organisent », expliquait fin janvier Manuel Valls, ministre de l’Intérieur français, « cela se fait le plus souvent sur Internet ». Les jeunes tombent notamment sur des sites tels qu’Ansar Al-Haqq. Qui explique notamment comment améliorer sa condition physique avant d’aller au combat.

2. Le viatique turc

Passage obligé pour entrer en Syrie : la Turquie. D’abord Istanbul, parfois depuis l’Espagne, pour les jihadistes de Midi-Pyrénées, Paris ou encore Lyon pour Salahudine. « Nous avons transité par avion à Istanbul puis Hatay, en Turquie, avant d’atteindre, en car, Kilis, à la frontière turco-syrienne », témoigne ce dernier.

Près de 2 000 Européens combattraient en Syrie aux côtés des jihadistes.

Pour quelques centaines d’euros, les apprentis jihadistes se retrouvent facilement à la frontière, où la ville d’Hatay est devenue un des principaux points d’équipement et de passage. Il y a mille ans, c’est déjà par cette ville, qui s’appelait alors Antioche, que d’autres Européens en croisade avaient pénétré le territoire syrien. De nos jours, une fois équipé d’un matériel déclaré « de chasse », le passage de la frontière s’apparente à un jeu d’enfants, comme l’ont expliqué deux adolescents toulousains rentrés récemment en France, qui l’ont simplement franchi à pied. Pour quelques dollars et avec un bon passeur, la Syrie vous tend les bras.

3. La prise de contact et l’enrôlement

La frontière franchie, l’un des principaux points de chute est Alep. Ville symbole, proche de la frontière turque, celle-ci est une porte d’entrée pour jihadistes, qu’ils veuillent rejoindre d’autres zones de combat, à Homs ou Damas par exemple, ou non. Particulièrement influent à Alep, les islamistes du front Al-Nosra ont mis en place leur propre filière pour faire passer et entraîner les apprentis depuis la Turquie.

Ce sont eux qui ont notamment récupéré les deux adolescents toulousains à la frontière. Moins radical que les combattants de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), qui luttent non seulement contre les troupes de Bachar mais également contre celles de l’Armée syrienne libre (ASL), Al Nosra est attractif et de plus en plus médiatique. Contrôlant une partie de la ville, le front récupère sans mal bon nombre d’aspirants combattants.

Ceux-ci, parfois, ignorent totalement à qui ils ont affaire. Dans leur témoignage, les deux jeunes Toulousains expliquent notamment qu’ils ne savaient rien des liens entre cette organisation et Al-Qaïda. Dans leur volonté aveugle de faire fuir Bachar, les jihadistes européens ne cherchent bien souvent que le plus court chemin vers les combats.

4. L’accomplissement

Depuis septembre, Salahudine, transfuge de l’EEIL, fait partie de leurs combattants. Entraîné à Alep, envoyé dans des raids aux alentours de la ville, il a progressivement élargi son champ d’action. Envoyé à Homs puis à Damas, il semble être devenu, en seulement quelques mois un jihadiste chevronné. Blessé début février sur le front, il n’a plus donné de nouvelles depuis cinq jours.

La ville d’Hatay, l’antique Antioche, est une nouvelle fois sur la route des Européens souhaitant pénétrer en Syrie.

Officiellement, selon les autorités françaises, 21 ressortissants de l’Hexagone seraient tombés en Syrie. Un chiffre sans doute en dessous de la réalité. Près de 2 000 jihadistes d’origine européenne combattraient actuellement en Syrie et les Français en formeraient le premier contingent.

Jeune Afrique


 

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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