Les présidents des conférences épiscopales du monde entier sont convoqués à Rome du 21 au 24 février 2019 sur la question de la protection des mineurs
Le pape François a décidé de réunir, du 21 au 24 février prochain à Rome, les présidents des conférences épiscopales du monde entier sur la question de la protection des mineurs, a annoncé mercredi 12 septembre le Vatican à l’issue de la rencontre bimestrielle du Conseil des cardinaux.
Après les révélations en cascade aux États-Unis, puis les accusations d’un ancien nonce contre l’inertie de la Curie et le pape lui-même, le travail du dernier « C9 », de lundi à mercredi au Vatican, aura été logiquement consacré en grande partie à cette délicate question des abus sexuels dans l’Église. Les six cardinaux présents à Rome, qui dès lundi avaient d’ailleurs assuré le pape de leur « pleine solidarité », ont donc « amplement réfléchi avec le pape sur le thème des abus », selon leur communiqué final.
« Si l’Église se révèle incapable de répondre de tout son cœur à cette question toutes nos autres activités en seront touchées »
Au cours des sessions, le cardinal Sean O’Malley, archevêque de Boston, est par ailleurs longuement revenu sur le travail de la Commission pontificale pour la protection des mineurs qu’il préside et qui s’était justement réunie le week-end précédent. En marge de celle-ci, le cardinal américain avait insisté sur la nécessité de faire de la lutte contre les abus une « priorité ». « Si l’Église se révèle incapable de répondre de tout son cœur à cette question et d’en faire une priorité, toutes nos autres activités d’évangélisation, d’œuvre de charité et d’éducation, en seront touchées », avait-il mis en garde dans un entretien à VaticanNews.
Pour souligner cette urgence, le pape a donc accueilli l’idée de son conseil de convoquer à Rome les présidents de toutes les conférences épiscopales du monde « pour parler de la prévention des abus sur les mineurs et les adultes vulnérables ».
Une réunion inédite jusqu’ici. Pour l’instant, en effet, seuls des épiscopats particuliers avaient été convoqués sur ce sujet (l’Irlande en 2010 avec Benoît XVI, le Chili cette année avec François). Mais la réunion n’aura pas non plus le format d’une assemblée spéciale du Synode des évêques au cours desquelles sont convoqués les présidents d’épiscopat, mais aussi les cardinaux de Curie et des invités du pape.
Moins d’une démarche synodale, il s’agira donc surtout pour le pape François, en s’appuyant sur les présidents des conférences épiscopales, de souligner l’importance de ces dernières. Il entend bien, en effet, leur donner plus de poids dans la lutte contre les abus alors que ses prédécesseurs, Jean-Paul II et Benoît XVI, mettaient d’abord en avant l’autorité de chaque évêque. Avec l’effet pervers de souvent paralyser ces organes intermédiaires dont ils se méfiaient.
Aujourd’hui, les choses ont radicalement changé. Les révélations successives d’affaires étouffées par des évêques au fil des décennies ont gravement mis à mal l’autorité épiscopale, soulignant la nécessité d’échelons intermédiaires auxquels ils doivent rendre des comptes. Le cas de l’Irlande, cité en exemple par le pape pendant son voyage fin août, est ici remarquable : chaque diocèse y est désormais régulièrement audité par un organisme mis en place par la conférence épiscopale, mais indépendant.
En Allemagne, 4,4 % des clercs auraient abusé d’enfant sur cette période
François, qui, à Dublin, a dit sa volonté d’« un plus grand engagement pour éliminer ce fléau dans l’Église, quel qu’en soit le prix, moral et de souffrances », sait que ce « prix » sera élevé. La transparence qu’il promeut a pour effet de multiplier et d’accélérer les révélations sur le sujet. Mercredi encore, en Allemagne, la publication anticipée par Die Zeit d’un rapport commandé par la Conférence des évêques allemands révélait qu’au moins 3 677 enfants ont été abusés par 1 670 clercs sur une période allant de 1946 à 2014… L’analyse de ces chiffres démontre, selon le rapport, que 4,4 % des clercs auraient abusé d’enfant sur cette période. Une statistique édifiante qui montre à quel point, d’après les auteurs du rapport, les abus sexuels étaient un mal institué dans l’Église allemande.
Désormais conscient de la souffrance des victimes, François rejette cette attitude et souligne, au contraire, que la cause profonde des abus se trouve dans un « cléricalisme » à l’origine d’une véritable « culture de l’abus », ainsi qu’il l’explique dans sa « Lettre au peuple de Dieu », publiée le 20 août dernier.
Une analyse loin, toutefois, d’être partagée par tous. Aux États-Unis, des évêques n’hésitent pas à soutenir les accusations de l’ancien nonce Vigano et à déclarer publiquement que la cause des abus réside non dans le cléricalisme mais dans la présence d’homosexuels au sein du clergé. Les déclarations ambiguës du président des évêques américains au lendemain de la publication du « témoignage » de Mgr Vigano et semblant donner l’impression qu’il allait dans ce sens, ne sont d’ailleurs sans doute pas étrangères à sa rencontre ce midi avec le pape.
Ailleurs, et sans le dire publiquement, beaucoup d’évêques, par manque de formation sur les abus ou par opposition idéologique avec le pape, penchent aussi dans ce sens. François sait qu’il doit convaincre et la rencontre de février sera pour cela cruciale. D’ici là, le rôle des laïcs à qui le pape a demandé de l’aide dans sa lettre ne sera pas négligeable. Comme le relève le théologien américain Massimo Faggioli, « la partie non épiscopale de l’Église a cinq mois pour s’assurer que sa conférence épiscopale et son président ont entendu ce qu’ils doivent entendre et écouter ».
La Croix