CEDH : l’interdiction du voile intégral est-elle dégradante ?

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie par une Française, se prononce sur l’interdiction des tenues destinées à se dissimuler le visage.

Est-il « dégradant » d’interdire le port en public du voile intégral ? Ce faisant, la France viole-t-elle la vie privée, les libertés d’expression ou de religion des musulmanes ? Autant de questions que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) doit trancher ce mardi. La CEDH a été saisie par une jeune Française de 24 ans,qui conteste la loi votée fin 2010 en France. Le texte précise que « nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage », sous peine de 150 euros d’amende et/ou d’un stage de citoyenneté. La jeune femme se dit adepte aussi bien de la burqa – qui cache entièrement le corps, y compris les yeux derrière un tissu à mailles – que du niqab – qui couvre le visage pour n’en montrer que les yeux. La Belgique s'est associée à la France pour défendre l'interdiction de se dissimuler le visage dans les lieux publics.

Au grand public, elle n’a révélé que ses initiales, S.A.S. Et elle n’a pas participé à l’audience organisée en novembre 2013 devant les juges de Strasbourg, préférant se laisser représenter par des avocats d’un cabinet de Birmingham (Royaume-Uni). « Parfaite citoyenne française d’un niveau d’éducation universitaire », elle « parle de sa République avec passion. C’est une patriote », assure un de ses défenseurs, Me Tony Muman.

Une interdiction qui « concerne toutes les possibilités de dissimuler le visage »

Dans sa requête, elle affirme ne subir « aucune pression » familiale, accepter les contrôles d’identité, tout en voulant rester libre de porter le voile à sa guise. Ses avocats invoquent diverses violations : la forcer à se dévoiler en public constitue, selon eux, un « traitement dégradant ». Ainsi qu’une violation de la liberté de religion, d’expression, et du droit au respect de la vie familiale et privée. À l’audience, la représentante de l’État français Edwige Belliard avait assuré que le texte incriminé n’est pas antireligieux, et « concerne toutes les possibilités de dissimuler le visage : par voile, cagoule, casque de moto… » Dans sa jurisprudence passée, la Cour a déjà accordé à la France une marge d’appréciation pour interdire au nom de la laïcité le foulard dans les établissements scolaires. Elle a aussi validé l’obligation de retirer foulards et turbans aux contrôles de sécurité. Mais en 2010, elle a condamné la Turquie en disant qu’arborer un vêtement religieux ne constituait pas en soi une menace à l’ordre public ou du prosélytisme.

La Belgique, qui a voté en 2011 une loi similaire au texte français, s’est associée à la procédure. À l’audience, sa représentante Isabelle Niedlispacher avait considéré le port de la burqa ou du niqab « incompatible » avec l’État de droit : outre les impératifs de sécurité et d’égalité hommes-femmes, ce qui est en jeu, « c’est la communication sociale, le droit d’interagir avec l’autre en regardant son visage, de ne pas disparaître dans le cadre d’un vêtement ». Les lois française et belge veulent simplement « favoriser l’intégration de tous », avait-elle conclu. Selon une étude de chercheurs américains, quelque 4,7 millions de musulmans vivent en France, et plus de 600 000 en Belgique. L’arrêt de la CEDH intervient quelques jours après la confirmation par la Cour de cassation française du licenciement pour faute grave d’une salariée voilée de la crèche Baby Loup, qui envisage elle aussi de se pourvoir à Strasbourg.

La décision des juges de Strasbourg coïncidera mardi avec celle de la cour d’appel de Versailles à l’encontre d’un jeune homme condamné en première instance à trois mois de prison avec sursis pour s’être violemment interposé lors du contrôle d’identité de sa femme portant le niqab, en juillet 2013 à Trappes, en banlieue parisienne. L’affaire avait provoqué une flambée de violences urbaines. Son épouse, condamnée à un mois de prison avec sursis pour outrage et rébellion, et à 150 euros d’amende pour le port d’un niqab, doit être rejugée en appel en octobre. L’arrêt de Strasbourg est très attendu par l’avocat de cette jeune femme, Philippe Bataille : si la CEDH « venait à s’opposer à la loi, il n’y aurait plus de bases aux poursuites contre ma cliente ».

 

AFP

F. Achouri

Sociologue.

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