Le « djihadisme » n’existe pas en islam

Nulle part le Coran n’attribue au terme « djihad » le sens de conflit armé lequel est désigné par l’expression « qital1 » (« combat », « guerre »). Le sens de « djihad » a quant à lui fondamentalement à voir avec la lutte intime qui oppose l’homme à son égo (nafs).

 

L’émergence de la mouvance « djihadiste » est si rapide et puissante aujourd’hui qu’elle appelle impérieusement des clarifications terminologiques. Le présent article s’inscrit ainsi dans ce contexte tragique de « terreur djihadiste » et se propose d’engager une réflexion sur les fondamentaux sémantiques du « djihad » en islam. J’aimerais en outre que ma voix soit entendue dans deux directions. Celle de la masse musulmane d’abord au nom de ses valeurs éthiques et citoyennes car mon propos est de rappeler qu’aucun musulman n’est dédouané de l’étude de sa religion. Ensuite, celle des personnes faisant autorité dans la hiérarchie des savants musulmans de par le monde.

Fondamentaux sémantiques

Quelques évidences d’abord : Nulle part le Coran n’attribue au terme « djihad » le sens de conflit armé lequel est désigné par l’expression « qital » (« combat », « guerre »). Le sens de « djihad » a quant à lui fondamentalement à voir avec la lutte intime qui oppose l’homme à son égo (nafs).

De fait, les « prêcheurs djihadistes » se rendent coupables d’un des glissements de sens les plus préjudiciables qui soient à la terminologie juridique musulmane. Les arguments invoqués par ces prédicateurs sont en effet tirés de la tradition eschatologique que l’on appelle « fitna apocalyptique » à savoir la fréquence des situations génocidaires de la fin des temps qui justifierait la mise à mort de civils. Or ceci est perversement rapproché d’un hadith qui défend l’idée selon laquelle les hommes seront ressuscités dans l’intention de leur mort:

« La mère des croyants, ‘Aïsha, a dit: Le Messager de Dieu (Saw) a dit : « Une armée attaquera la Ka’ba. Lorsqu’elle parviendra dans une région désertique, la terre l’engloutira, du premier au dernier. » ‘Aïsha dit alors : « O Prophète de Dieu ! Comment serait-elle engloutie alors que, parmi eux, il y aura des gens qui seront là uniquement pour commercer ou pour d’autres raisons? » Il dit : « Ils seront engloutis du premier au dernier et chacun sera ressuscité [et jugé] selon ses propres intentions » [Bukhari et Muslim, texte de Bukari] »

Les « djihadistes » greffent à ce même hadith un autre concept appelé « bain de sang » (al-harj) qui justifierait ainsi l’appel au meurtre. Autrefois, les khawarij avait utilisé ce procédé pour légitimer l’assassinat d’innocents en toutes circonstances dès lors que l’intention était de plaire à Dieu. De cette manière, ces prêcheurs qui appellent à la mise à mort de civils, dans des attentats suicides par exemple, se justifient en opposant le contexte de guerre.

Or, d’après nombre d’exégèses, ce hadith a été donné par le Prophète comme une exhortation morale à ne pas céder aux tentations. Dès lors, en terme de proportion, le djihad armé est une interprétation étymologique opérée par les prêcheurs « djihadistes » de manière extrêmement minoritaire et injustifiée au regard de la définition qu’en donne le Coran. Pour démontrer l’évidence de mon propos, je me référerai à un tafsir récent qui se pose comme un recueil de commentaires plus anciens.

Ancrage à la source : une exégèse du XVIIIe siècle 

Nous avons dans le commentaire coranique « Al-zahab al-iblis » de Muhammad ibn Mukhtar al-Yadhali (m.1753), un bon exemple d’exégèse du mot djihad en tant qu’exercice d’un individu sur la voie de l’amélioration personnelle. Il étudie en effet très bien la notion de djihad à partir du dernier verset de la sourate L’Araignée:

« Ceux qui auront combattu pour Notre cause, Nous leur indiquerons Nos voies et Dieu est sûrement avec les bienfaiteurs » (XXIX, 69)

Ce verset a la spécificité de ne pas renvoyer directement le djihad au contexte de guerre mais à celui de la psychologie islamique (‘ilm al-suluk). Dans la tradition exégétique, les voies en question sont nécessairement multiples car elles sont le fruit d’actions multiples. Les exégètes référencés par al-Yadhali ont alors déduit à partir de ce verset que le djihad est une obligation. Or, c’est en isolant le contexte que certains prédicateurs de la haine l’ont interprété comme étant une justification au « djihad du sabre » (djihad al-sayf). Ce qui revient à oublier le fameux hadith faisant valoir que :

« L’homme fort n’est pas celui qui terrasse son adversaire. L’homme fort est celui qui se domine lorsque la colère tente de s’emparer de lui » (Al-Bukhârî).

Dans ce sens, nous dit al-Yadhali, le djihad contre l’égo est infiniment supérieur car le nafs est le premier ennemi du croyant. Cependant, l’égo ayant été intrinsèquement lié à sa personne, le suicide est synonyme de péril pour lui, car synonyme de damnation. Pour Al-Yadhali en effet, il y a dans le nafs « l’arrogance d’Iblis, la jalousie de Caïn, l’anarchie des ‘Ad, la rébellion de Nemrod, la mégalomanie de Pharaon, la morgue de Qarun/Crésus, l’insolence de Amman, la perversion de Bal’am, /…/ ». Le sens profond du djihad c’est ainsi de constamment désobéir à l’égo pour limiter ses penchants et appétits, sa soif inextinguible de splendeur apparente et intérieure qu’elles suggèrent en permanence à travers ses aspirations.

Que faire alors, s’interroge al-Yadhali ? Il faut la traiter d’une manière douce et progressive, répond-il, car elle a un tempérament farouche (tab’ nafûr). Elle est semblable à un corps malade dont le traitement doit toujours accompagner une phase de détente. Et c’est ainsi que l’on peut l’amener à atteindre les attributs par lesquels elle sera éduquée. Il faut impérieusement éviter de la violenter, selon un autre hadith célèbre:

« Ne violenter pas cette religion car ceux qui lui font violence seront toujours finalement dominés ».

Pour finir, je dirais que la tradition exégétique de l’islam ne croit certes pas au pacifisme du XVIIIe à la manière de Kant et l’abbé de Saint Pierre et rejette en ce sens « la paix perpétuelle » comme une utopie. Pour autant, le fait que la guerre ne soit pas une guerre « pour rien » ni un vecteur de propagation de l’islam implique que le djihad n’est pas la normalité. Dans cette conception, l’islam le conçoit comme une nécessité douloureuse sans en faire la norme. Enfin, je ne suis certainement pas le premier à écrire ces lignes ni le plus compètent. Raison pour laquelle je déplore d’être obligé de revenir sur cette question étymologique qui pourtant devrait être comprise de tous.

Oumma.com

 

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

Articles recommandés