A Strasbourg, un shabbat pour tous

Vendredi 23 et samedi 24 octobre, tous les juifs du monde étaient invités à faire redécouvrir shabbat à leurs coreligionnaires éloignés de cette pratique.

 

Strasbourg a répondu à l’appel avec chaleur.

La grande synagogue de Strasbourg a rarement été aussi pleine et emportée par un tel élan de joie que le soir du vendredi 23 octobre.

Fréquentant habituellement une douzaine de synagogues différentes, correspondant à des traditions diverses (ash­ké­na­zes ou séfarades, polonais, loubavitchs, hassidiques…) et à des degrés d’orthodoxie plus ou moins stricts, tous les juifs de la ville ont été conviés, fait rare, à célébrer ensemble l’office d’entrée dans shabbat.

Pour la deuxième année consécutive, le Consistoire a répondu à l’appel mondial du « Shabbos Project » : redonner goût à la joie de shabbat, notamment à ceux qui s’en sont éloignés. Ils sont un certain nombre, « inconnus au bataillon », constate un fidèle, à s’être laissé tenter.

Bien loin de certains offices beaucoup plus austères, une heure durant, montent les prières de fête, chantées à gorge déployée. Spontanément, quelques hommes lancent dans les allées une farandole, qui ne cesse de s’allonger, dans un plaisir manifeste.

« C’est formidable, je n’ai jamais vu ça. Quel bonheur d’être tous rassemblés », commente Nourrith, quinquagénaire très pratiquante, installée à l’étage, où la vue est imprenable sur les 800 participants.

« Personne ne nous empêchera d’exprimer notre joie »

« Avec shabbat, notre communauté sera rassemblée et forte. Personne ne nous empêchera d’exprimer notre joie », dira, à la fin de l’office, Joël Mergui, le président du Consistoire central israélite de France, dans un discours très politique faisant allusion à l’actualité en Israël, à la montée de l’antisémitisme en France, et au départ de certains juifs de France.

Portant perruque et chapeau, observant shabbat de manière rigoureuse (elle est donc dite « chomer shabbat »), Nourrith, elle, a retrouvé sa grande amie Joëlle, à la foi beaucoup moins affirmée, et dont la pratique se limite aux deux fêtes incontournables de l’année. « Elle ne vient que pour l’ambiance », la taquine Nourrith.

La pimpante Joëlle assume : « Je suis juive, active dans les associations de la communauté, j’adore venir à la synagogue de temps en temps et, au fond, j’aimerais faire plus shabbat. Mais je n’ai pas été élevée dans cette observance, et c’est vraiment très dur de s’y mettre. J’ai eu ma période mystique, j’ai essayé d’être ‘‘chomer shabbat’’’, mais ce n’était pas pour moi. Peut-être y reviendrai-je », confie la chef d’entreprise laissant rarement, comme ce soir-là, le téléphone portable à la maison.

Du coucher du soleil le vendredi au coucher du soleil le samedi, tout travail est interdit, de même, entre autres, que l’usage des téléphones, ordinateurs, télévisions ou voitures.

« Il y a tellement de règles que c’est impossible de les suivre toutes. Chacun les suit en fonction de ce qu’il est, cela ne me choque pas du tout », estime Nourrith. Habituellement, chaque famille partage ensuite le repas de shabbat chez elle, en invitant, la plupart du temps, sa famille élargie.

« Shabbat est incompatible avec une réussite dans les études »

Pour Shabbos Project, plusieurs propositions collectives ont été faites durant ces 24 heures, et affichent complet. À quelques centaines de mètres de la grande synagogue, le charismatique rabbin Aaron Eliacheff a convié une centaine de personnes à partager un baeckeoffe (plat traditionnel alsacien) dans une très jolie salle aux allures de banquet de mariage.

Il a, comme à son habitude, tenu à mêler les profils, et plutôt que des grands discours, passe chaleureusement de l’un à l’autre.

Il ne connaît guère David, 27 ans, interne en chirurgie. De fait, celui-ci ne fréquente plus la communauté et sa famille ne pratique pas. « Shabbat me semble vraiment loin de mes préoccupations. C’est incompatible avec une réussite dans les études. Je ne peux pas me permettre d’arrêter de travailler une journée par semaine. Étant en stage à l’hôpital, ce serait de toute façon impossible », confie-t-il, avouant n’être venu qu’à l’incitation de sa mère.

Pourtant, il reste attaché à sa judéité, a remis exceptionnellement sa kippa, et ne veut pas préjuger de l’avenir. « Je ne sais pas avec qui je me marierai, mais avec une non-juive, je pense que cela me dérangerait quand même. Comme ce sont les femmes qui organisent concrètement shabbat, si elle le veut, je suivrai. »

Faire l’expérience de Shabbat, petit à petit

En face de lui, Guy, 30 ans, emporté par les chants traditionnels qui s’élèvent dans la salle, semble bien plus intégré et à l’aise dans la communauté.

Lui non plus ne s’interdit rien le jour de shabbat, même si, son travail ne l’obligeant pas à travailler ce jour-là, il passe de toute façon ses matinées à dormir et ses après-midi à table, en famille. Pourquoi ne jamais aller à l’office, même ce soir de Shabbos Project ? Ce n’est pas par rejet, mais « par paresse ! », reconnaît-il.

L’expérience conviviale du Shabbos Project amènera-t-elle Joëlle, David et Guy à se réconcilier avec shabbat ? Le rabbin Eliacheff refuse d’en faire un objectif.

« On pense que c’est la base, mais c’est déjà un certain niveau de judaïsme. Il faut pouvoir, financièrement, ne pas travailler le samedi, savoir se reposer par obligation et non juste par fatigue, ce qui exige un peu d’étude, et vous décale par rapport au monde. Mon message est que l’on peut en faire l’expérience petit à petit. »

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Un shabbat mondial

Le « Shabbos Project » a été lancé en 2013 par le grand rabbin d’Afrique du Sud Warren Goldstein pour revivifier la pratique du shabbat dans sa communauté : dès la première année, 70 % des 75 000 juifs sud-africains se mobilisent.

L’année suivante, le « shabbat mondial » est organisé dans 340 villes dans le monde, touchant, selon ses organisateurs, 1 million des 7 millions de juifs vivant hors d’Israël.

Cette année, le grand rabbin de France Haïm Korsia a participé au shabbat avec la communauté de Boulogne-Billancourt (après Strasbourg l’an dernier) avant une grande soirée festive pour les juifs d’Île-de-France au palais des congrès de Montreuil avec le chanteur israélien Gad Elbaz.

 

La Croix

 

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

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