L’affaire est aussi explosive que celle de l’accès à l’esplanade des Mosquées de Jérusalem. Mais Mordechai «Moti» Yogev, député du parti d’extrême droite le Foyer juif, estime qu’il «fait œuvre de salubrité publique». Soutenu par sa formation et par de nombreux élus du Likoud (les nationalistes au pouvoir) ainsi que du parti de centre droit Koulanou, il pousse à fond sa proposition de loi visant à interdire aux muezzins l’usage du haut-parleur pour l’appel à la prière. «Il ne s’agit pas d’une atteinte à la liberté de culte, mais les haut-parleurs font trop de bruit, y compris en pleine nuit puisque l’on compte cinq appels à la prière par jour. Cela dérange des centaines de milliers de gens [entendre les non-musulmans, ndlr] qui ne demandent qu’à vivre dans le calme à Jérusalem, en Galilée, dans les villes mixtes et même à Tel-Aviv», assène le député, qui veut également «empêcher que l’on utilise ces haut-parleurs pour diffuser des messages nationalistes et religieux, ainsi que des appels à la haine».Yogev jure que sa proposition de loi n’est pas raciste, puisqu’il veut également interdire les haut-parleurs dans tous les lieux de culte d’Israël. Sauf qu’en réalité, on n’en trouve que sur les mosquées, et pas sur le clocher des églises ni chez les protestants. Pas plus qu’à l’entrée des synagogues.
Colonie.
Ancien officier dans une unité spéciale de Tsahal (l’armée israélienne) et chaud partisan de l’annexion de la Cisjordanie par Israël, Moti Yogev y habite, dans la colonie de Dolev. En novembre, alors que l’«intifada des couteaux» prenait de l’ampleur, il avait proposé de créer dans le désert du Néguev, dans le sud d’Israël, un camp de détention spécial «pour les familles de terroriste» où elles auraient dû être déportées sans jugement. Une suggestion alors destinée à augmenter sa visibilité au sein du Yesha (le lobby des colons) et à lui faire de la pub dans les médias locaux, mais qui n’avait aucune chance d’aboutir. Cette fois, sa proposition de loi bénéficie d’un large soutien, y compris dans les milieux universitaires : «Les muezzins haussent délibérément le son des haut-parleurs à des fins politiques et religieuses pour montrer que la Palestine est terre d’islam. Et qu’Israël et les Juifs n’y ont donc pas leur place»,affirme Yechiel Shabi, islamologue spécialisé dans l’étude des Arabes israéliens. A l’entendre, ce phénomène serait en plein développement. Surtout dans les mosquées de Galilée, contrôlées par la branche nord du Mouvement islamique, une organisation liée aux Frères musulmans et interdite en novembre.
Mais il existe déjà en Israël une législation régulant le bruit et la tranquillité publique. Il arrive d’ailleurs parfois qu’un muezzin doive s’acquitter d’une amende pour avoir confondu ses haut-parleurs avec la sono d’un stade de foot. Mais il ne s’agit pas d’un phénomène récurrent, loin de là. En réalité, la droite nationaliste et l’extrême droite semblent obsédées par la question des appels à la prière.
En 2011, la députée Anastassia Michaeli, égérie du parti ultranationaliste Israël Beiteinou («Israël notre maison») – dont Avigdor Lieberman est le fondateur et le président -, avait déjà présenté un texte visant à réduire les mosquées au silence. Lorsque cette ancienne journaliste d’origine russe a disparu de la scène politique en raison de ses propos antigays et de son caractère emporté – elle a notamment balancé un verre d’eau au visage d’un député en pleine réunion de commission parlementaire -, son projet a aussitôt été repris par Robert Ilatov, l’homme de confiance de Lieberman.
«Marginaliser».
A l’époque, les mauvaises langues ont prétendu que ce dernier tenait personnellement à ce qu’une telle loi soit votée parce que sa mère, qui résidait à Jaffa (au sud de Tel-Aviv), était incommodée par les mosquées locales. En tout cas, depuis lors, Israël Beiteinou s’est retrouvé dans l’opposition et c’est désormais le Foyer juif, l’un des trois piliers de la majorité, qui a repris cette croisade par la voix de Yogev. A l’annonce, dimanche, de l’examen du texte par la commission interministérielle des lois israélienne, le député travailliste arabe Zouheir Bahloul (opposition) a estimé que cette proposition «constitue une déclaration de guerre qui ne peut rester sans réponse». Des propos que l’on entend également dans la bouche de la plupart des responsables arabes israéliens, pour qui «l’interdiction des haut-parleurs s’inscrit dans la droite ligne des nombreux projets de Benyamin Nétanyahou et de ses amis visant à marginaliser [leur] communauté au lieu de tenter de l’intégrer». Une chose est sûre, l’examen et la discussion du texte prendront quelques mois. Difficile, donc, d’en connaître l’issue.
Libération