En France, Mohammed a quatre fois moins de chances d’être recruté que Michel
Sur le marché du travail, mieux vaut paraître catholique, que musulman ou juif. Une étude de l’Institut Montaigne publiée jeudi révèle de «fortes discriminations» à l’embauche liées à la religion, surtout envers les musulmans pratiquants. Les chiffres sont éloquents: un candidat perçu comme musulman pratiquant a deux fois moins de chances d’être convoqué en entretien qu’un catholique pratiquant (10,4% contre 20,8%). L’écart est encore plus grand si l’on isole les hommes: 4,7% contre 17,9%, soit presque du simple au quadruple. Ces discriminations frappent aussi les juifs pratiquants, mais dans une moindre mesure: leurs chances d’être convoqués sont inférieures de 24% à celles des catholiques, un écart qui varie peu selon le sexe.
Pour arriver à ces chiffres, l’auteure de cette étude, Marie-Anne Valfort, maître de conférences à l’université Panthéon-Sorbonne, a envoyé entre septembre 2013 et septembre 2014, des candidatures fictives à 6.231 offres d’emploi pour des potes de comptables, assistants et secrétaires comptables en métropole. Elle a créé des profils identiques en tous points: des Français d’origine libanaise, noms de famille Haddad, nés à Beyrouth en 1988, arrivés en France au début du lycée en 2003, naturalisés en 2008 et titulaires d’un BTS comptabilité. Une seule différence parmi ces CV: leur appartenance religieuse suggérée par leur prénom: Dov et Esther pour les juifs, Michel et Nathalie pour les catholiques, Mohammed et Samira pour les musulmans ; leur scolarité dans une école confessionnelle et leur engagement dans l’association de scoutisme de leur communauté.
L’auteure de l’enquête a ensuite comparé le taux de convocation à un entretien d’embauche entre tous ces candidats fictifs. Le résultat est éloquent: les musulmans «sont beaucoup plus discriminés» par rapport aux catholiques en France «que ne le sont les Afro-Américains par rapport aux Blancs aux États-Unis». De quoi relancer le débat sur la question du CV anonyme, un dispositif que le gouvernement a récemment refusé de le généraliser, lui préférant des «actions de groupe» anti-discriminations.
Un homme musulman gagne à se montrer «laïcs»
Pour étayer sa thèse, l’auteur a créé des profils «laïcs» mentionnant un engagement dans une association de scoutisme laïque. Comparé au taux de convocation des «pratiquants», l’impact est limité pour les candidats juifs. En revanche, les hommes musulmans doublent leurs chances d’être convoqués à un entretien s’ils se montrent laïcs. A l’inverse, les catholiques «perdent à s’afficher comme laïcs», surtout les hommes, dont les chances sont presque divisées par deux. «Il est probable que l’attachement des hommes au catholicisme soit perçu par les recruteurs comme un gage précieux de discipline», suggère l’étude.
«Les Français associent spontanément l’islam à l’extrémisme religieux et à l’oppression de la femme», explique Marie-Anne Valfort. «Ces deux stéréotypes vont alimenter une discrimination très forte, en particulier à l’égard des hommes musulmans. Le recruteur les perçoit comme un risque accru de pratique religieuse transgressive sur le lieu de travail et les associe à un risque d’insubordination.»
Discrimination même parmi les profils d’excellence
Même les profils d’excellence en termes de diplôme, de compétences et d’expérience n’estompent pas toutes les discriminations. Chez les hommes «la discrimination à l’égard des candidats masculins juifs et musulmans s’intensifie» même, alors que les catholiques «d’exception» ont cinq fois plus de chances de décrocher un entretien que les musulmans «d’exception» et 1,5 fois plus que les juifs «d’exception». «Il est probable que l’attachement des hommes au catholicisme soit perçu par les recruteurs comme un gage précieux de discipline», suggère Marie-Anne Valfort. En revanche, l’étude met en évidence une absence de la discrimination, «non seulement à l’égard des candidates musulmanes mais aussi à l’égard des candidates juives».
En France, un employeur coupable de discrimination risque jusqu’à trois ans de prison et 45.000 euros d’amende.
Le Figaro.fr