Belgique : les professeurs de religion ont le blues

  Pour les professeurs de religion, ces dernières semaines n’ont pas été de toute quiétude. L’arrêt rendu en mars par la Cour constitutionnelle, qui autorise désormais les élèves du réseau officiel à ne plus suivre ni cours de morale ni cours de religion a été un choc pour beaucoup d’entre eux. Et puis, il y a eu les débats houleux sur ces futurs cours de « rien », l’appel de la Fapeo aux parents à choisir l’option de la dispense, les crispations politiques qui s’en sont suivies, le projet de décret de la ministre Milquet annonçant le contenu de cet encadrement pédagogique alternatif (EPA) proposé aux élèves dispensés dès la rentrée. Il y a enfin le cours de citoyenneté qui se profile, probablement pour la rentrée 2016, et qui remplacera pour moitié les heures de cours philosophiques.

Le malaise

Comment les professeurs de religion ont-ils vécu ces événements ? Craignent-ils pour leur emploi ? Que pensent-ils du décret EPA ? Le malaise semble profond car c’est la place de la religion dans la sphère publique et, ici, scolaire qui leur semble attaquée ou remise en question.

Trois d’entre eux, qui enseignent la religion islamique, protestante ou catholique dans des écoles bruxelloises et wallonne du réseau officiel, témoignent de leur état d’esprit et de leurs inquiétudes.

 

« On forme les élèves à être des citoyens responsables »

Hafida Hammouti, prof de religion islamique dans des écoles primaires communales de Molenbeek.

Déshumanisé. Les demandes de dispense seront probablement anecdotiques dans les écoles où enseigne Hafida Hammouti depuis onze ans, le choix du cours de religion islamique y étant très largement majoritaire. Ce n’est pas pour autant que les professeurs de religion ne sont pas inquiets pour leur emploi. « Que va-t-on faire de nous ? Nous sommes toutefois un peu rassurés à la suite de l’annonce que les professeurs nommés seront prioritaires pour assurer l’encadrement des dispensés. On espère qu’ils conserveront leur statut et leur rémunération. » Hafida Hammouti salue le décret sur l’EPA qui est, pour elle, « une solution pour les élèves et les enseignants. C’est un message clair et rassurant qui dit que les élèves ne resteront pas sans rien et qu’ils seront mis sur pied d’égalité avec les autres pour la certification ». Le texte annonce que les élèves dispensés suivront l’EPA en groupes de 30 au plus. Ce qui fait rire Hafida Hammouti. « Nos classes de cours de religion islamique sont surchargées : une trentaine d’élèves et parfois 40. Nous sommes ravis d’entendre ce chiffre de 30 maximum mais il faudrait une égalité de traitement entre les profs de cours philosophiques et les profs de ‘rien’ », lance-t-elle. Le futur cours de citoyenneté laisse l’enseignante un peu sceptique. « On ne dit pas non mais on fait déjà de l’éducation à la citoyenneté dans nos cours depuis longtemps. On forme les élèves à être des citoyens responsables. On parle de la citoyenneté comme si c’était quelque chose de neuf mais c’est un des quatre axes du décret missions de 2007. Donc, laissez-nous poursuivre. Et avant de travailler sur le décloisonnement, il faudrait d’abord travailler sur la mixité sociale et culturelle dans les écoles. » Il paraît évident au professeur que les enseignants des cours philosophiques doivent être associés à l’élaboration du contenu de ce futur cours de citoyenneté. Ce qui reste en travers de la gorge de Hafida Hammouti, ce sont les débats orageux de ces dernières semaines entre laïcs et représentants religieux, politiques de tous bords. « On parlait d’arrêt, de décret mais plus d’élèves ni d’école ni d’enseignement. Le débat était déshumanisé et coupé de la réalité de terrain. J’appelle les politiciens à y remettre de la sérénité et du bon sens. »


« Ce n’est pas la philo qui sauvera le monde »

Bernard Locoge, prof de religion protestante au lycée Emile Jacqmain et à l’athénée Adolphe Max de Bruxelles.

Choc. « L’arrêt de la Cour a été un coup de massue. Les professeurs de religion n’ont déjà pas le même statut que les autres et cela nous a fait nous sentir encore plus dévalorisés. » Bernard Locoge enseigne dans deux écoles aux profils bien différents. « Au lycée Jacqmain (un fief laïc dont vient l’élève qui a porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle), on s’attend à 25 % d’élèves dispensés. À Adolphe Max, l’immense majorité gardera les cours de religion. » Le professeur a été« très choqué » par la lettre de la Fapeo jointe au formulaire de choix. « C’est un papier orienté qu’on a fait passer pour de l’information. Ces méthodes me heurtent », indique-t-il. L’enseignant estime, qu’avec le formulaire, on a fait les choses à l’envers. « Il aurait mieux valu donner le contenu du futur cours avant de proposer un choix aux parents. » Pour Bernard Locoge, le projet de décret EPA est précipité. « Il n’y avait aucune urgence. Son contenu est tellement vague et flou. Et puis, ce cours est fait pour des élèves neutres et on va le refiler à des professeurs de cours philosophiques qui ne le sont pas. C’est absurde, même si je comprends la logique de vouloir sauvegarder les emplois. » Bernard Locoge est en fin de carrière. Il ne s’inquiète donc pas pour son propre emploi mais ses jeunes collègues ont plus de craintes. « 70 % des professeurs de religion protestante n’ont pas les titres requis pour donner le futur cours de citoyenneté. C’est dramatique », explique-t-il. Le professeur bruxellois estime que son cours est l’occasion d’éduquer à la citoyenneté. « J’ai pas mal d’élèves africains qui fréquentent des églises pentecôtistes souvent radicales. L’an dernier, on a abordé l’homosexualité en classe, un sujet très tabou en Afrique. J’ai cherché des textes montrant que le Christ fait passer la valeur humaine au-dessus de la loi de Dieu. La citoyenneté est intégrée à mes cours. On y parle de racisme, d’égalité hommes/femmes, de discriminations… Mais l’EPA serait l’occasion de rencontrer des professeurs de différentes options, aller vers de nouvelles valeurs. » Bernard Locoge veut que les professeurs soient impliqués dans l’élaboration du cours de citoyenneté et il conclut : « De la philo à toutes les sauces, c’est ça qu’on veut nous donner mais ce n’est pas la philo qui sauvera le monde. Ce n’est qu’un des outils. »


« On lutte contre les fondamentalismes »

Prof de religion catholique à l’athénée Prince Baudouin de Marchin.

Enterrement. Agnès Noël enseigne depuis 36 ans. Dans son établissement, deux tiers des élèves suivent le cours de morale et la grande majorité de ceux qui ont choisi un cours de religion a pris la religion catholique. « L’école est assez homogène mais on a des élèves d’origine africaine qui sont protestants ou catholiques fondamentalistes. Nous avons eu des débats assez houleux après l’attentat contre Charlie Hebdo , dit-elle. Alors, balancer les cours de religion, ça ne va pas parce que c’est là qu’on lutte contre les fondamentalismes. » A l’athénée de Marchin, on ne s’attend pas à faire face à un grand nombre de dispenses mais rien que l’annonce que les choses allaient changer à la rentrée a provoqué un choc chez les professeurs de religion. « Le discours ambiant nous a fait sentir qu’on ne serait pas capables, qu’on ne fait pas d’éducation à la citoyenneté dans nos cours alors que c’est ce que je fais déjà et tout le temps. On a toujours mis sur pied de grands projets multiconfessionnels » , signale Agnès Noël. Fin avril, lors de la journée « Portes ouvertes » de l’école, les professeurs des cours philosophiques ont organisé « un enterrement de première classe » de leurs cours, avec couronnes mortuaires et vêtements noirs, afin d’interpeller les parents avec humour. Un philosophe a été invité à expliquer ce que sont les convictions. La menace qui pèse sur les emplois est présente. « Je crains la dispersion des profs dans d’autres écoles. Notre investissement par établissement sera moindre. » Comment Agnès Noël juge-t-elle le projet de décret EPA ? « C’est un peu fourre-tout, c’est du remplissage et il n’y a pas de réflexion en profondeur. Je vais peut-être récolter des élèves qui ne voulaient plus avoir cours avec moi… C’est ridicule mais je suis prête à le faire. » Sur le futur cours de citoyenneté, l’enseignante se montre plus enthousiaste. « C’est une bonne chose car on remarque des univers mentaux différents chez les élèves qui suivent les cours de religion et de morale et c’est bien de les rassembler. S’il s’agit de leur donner la capacité de s’exprimer, de réfléchir, de prendre de la distance par rapport au groupe, je suis partante. Mais j’ai des doutes sur la qualité du futur cours. » Agnès Noël aimerait elle aussi que les professeurs soient associés à la réflexion sur le contenu du cours.

 

La Libre.be

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

Nos services s'adressent aux organisations publiques ( Loi de 1905) et aux organisations privées.

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