Chrétiens d’Irak : « Pour survivre, nous devons rentrer chez nous »

Alors que se tient aujourd’hui la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur les chrétiens d’Orient, Mgr Petros Mouché, archevêque syriaque catholique de Mossoul et Qaraqosh lance un appel à la communauté internationale pour que la plaine de Ninive soit reprise à l’organisation Etat islamique et que les dizaines de milliers de chrétiens déplacés puissent rentrer chez eux.

 

© LE CAER VIANNEY/SIPA    Dans la nuit du 6 au 7 août, lorsque les soldats kurdes qui protégeaient Qaraqosh, la grande ville chrétienne de la plaine de Ninive, ont essuyé une défaite militaire contre Daech et se sont repliés brutalement, des dizaines de milliers de chrétiens ont dû fuir en quelques heures, sans rien pouvoir emporter avec eux.

Mgr Petros Mouché, l’archevêque syriaque catholique (l’une des deux communautés catholiques en Irak avec les chaldéens) est parti comme eux avec seulement « ses vêtements et sa croix pectorale ». Alors qu’il pensait que cet exode brutal durerait seulement quelques jours, cela fait désormais près de neuf mois que les dizaines de milliers de fidèles que comptent son diocèse sont réfugiés dans des conditions spartiates dans différentes villes de la région autonome du Kurdistan irakien qui leur a ouvert ses portes.

Neuf mois après votre fuite de la plaine de Ninive, que reste-t-il de votre diocèse ?

Mon diocèse compte 12 000 familles, soient environ 140 000 personnes. 95 % d’entre eux sont aujourd’hui déplacés. Je suis le berger d’un troupeau dispersé dans 57 endroits différents au Kurdistan irakien, sans compter tous ceux qui sont partis à l’étranger. Et la liste est longue… 1300 familles sont en Jordanie, 1400 au Liban, des centaines en Turquie et environ 1500 personnes ont été accueillies en France ou en Allemagne.

Quelle est la situation de ces déplacés ?

Ils manquent de tout. Même s’ils ne vivent plus sous des tentes, ils n’ont pas de logement décent. Beaucoup vivent dans des camps de mobile home ou bien dans des bâtiments désaffectés que l’on a essayé d’arranger au mieux. Mais quand 450 familles vivent dans un centre commercial dont les murs n’ont pas été terminés, ou il n’y a ni eau courante et où les déplacés vivent dans des « box » seulement séparé par une fine cloison en plastique, c’est très dur. Il y a un problème d’hygiène et beaucoup de gens tombent malades, surtout les enfants. La plupart des déplacés n’ont pas d’argent car ils n’ont pas de travail, que ce soit en Irak ou à l’étranger.

L’accès au médicament est difficile et les opérations chirurgicales coûtent très cher. Nous avons aussi un problème de langue ; les chrétiens de la plaine de Ninive ne parlent pas le kurde, ce qui les handicape considérablement. Nous sommes obligés de créer nos propres écoles pour les enfants qui ne peuvent pas s’insérer dans le système scolaire kurdophone. Nous avons loué des maisons pour organiser les cours, mais c’est spartiate et il faut aussi organiser le transport pour que les enfants dispersés puissent venir à l’école.

Dans ces conditions, comment réagissent vos fidèles ?

Les gens sont très fatigués. Ils vivent dans l’inconnu. Leurs villes et villages seront-ils libérés ? Si oui, dans quel délai ? Retrouveront-ils ce qu’ils ont laissé ou bien leurs maisons seront-elles détruites ? Pourront-ils recommencer à vivre avec leurs voisins qui les ont trahis et qui ont pris leurs biens ? Pour mettre un terme à cette incertitude et à cette souffrance, nous demandons à la communauté internationale de tout faire pour accélérer la libération de la plaine de Ninive et le processus de reconstruction qui suivra.

À ce sujet, attendez-vous quelque chose de la réunion du Conseil de Sécurité de l’ONU qui se tient vendredi 27 mars ?

Je me réjouis de cette initiative qui donnera la possibilité à Mgr Louis Sako, le patriarche des chaldéens qui y a été invité, d’exploser clairement notre situation et de réveiller les consciences des dirigeants afin qu’ils nous aident. Nous n’avons pas besoin de bonnes paroles, mais d’actes pour sauver les chrétiens et leur permettre de vivre en paix.

Pensez-vous que la présence d’une force internationale au sol soit nécessaire ?

L’armée irakienne et l’armée kurde n’ont pas réussi à nous protéger jusqu’à présent. Je pense donc que la présence d’une force internationale, au moins pour un délai court, pour sécuriser la plaine de Ninive permettrait de rassurer les chrétiens afin qu’ils puissent rentrer chez eux. Cela permettrait de laisser aux armées nationales le temps de se renforcer.

Une offensive coordonnée entre les soldats irakiens et kurdes pour reprendre Mossoul, le bastion de Daech, avait été annoncée pour le printemps. Cela vous semble-t-il réaliste ?

Nous entendons régulièrement de la part de l’armée que la reprise de Mossoul est tout-à-fait proche, qu’ils n’attendent que les ordres pour attaquer et libérer toute cette région. Nous avons l’espoir que cela arrive vite, mais plus notre exode dure, plus les chrétiens partent et plus notre communauté s’effrite.

Quel est votre sentiment sur ces nombreux départs à l’étranger de vos fidèles ?

Vous savez, pour moi, cet exode est une mort lente. Et si cela continue, nous disparaîtrons. À l’étranger, les familles sont dispersées et cette dispersion entraîne une perte de nos rites et de notre culture. Mon diocèse en exil représente un tiers des fidèles syriaques catholiques dans le monde. Si ceux-ci disparaissent progressivement, c’est plus généralement notre Eglise qui est menacée. Si vraiment il nous est impossible de rester, si vraiment nos villages sont définitivement perdus, ce que bien sûr je ne souhaite pas, alors il faudrait nous trouver un lieu où nous pourrions au moins vivre regroupés pour que notre communauté survive. Mais ce n’est pas la bonne solution. Il faut tout faire pour que nous puissions rentrer dans la plaine de Ninive.

Si vous rentrez, pensez-vous que les chrétiens arriveront à pardonner leurs voisins musulmans qui les ont trahis et les ont souvent pillés ?

Je connais mes fidèles et j’ai vu leur courage. Ils ont su se dépasser. Ils ont laissé tout ce qu’ils avaient pour garder leur foi et leur mode de vie. Ils auraient pu se convertir à l’islam ou même payer la taxe, mais ils ont préférer tout perdre pour rester chrétiens et pouvoir pratiquer leur religion librement. Ils ont déjà fait ce geste héroïque, alors je crois qu’ils réussiront, avec la grâce de Dieu, à poser un autre geste tout aussi héroïque qu’est le pardon.

Cette année marque le centenaire de ce que nous appelons en France le génocide arménien mais qui a aussi concerné les assyro-chaldéens et les syriaques qui habitaient dans cette région

On dit que tous les 100 ans, l’histoire se répète. Pour nous, c’est vraiment cela. Le souvenir du génocide est encore bien présent parmi la population car les Irakiens connaissent leur histoire. La mort, notamment, de deux prêtres de Qaraqosh tués en 1915 a marqué plusieurs générations d’habitants. Malheureusement notre peuple n’en est pas à sa première persécution.

 

La Vie

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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