Face aux failles du sondage Ifop sur les musulmans de France, des CDCM font appel à la justice

Le dernier sondage Ifop sur le rapport des jeunes musulmans à l’islam et les conclusions qui en ont été tirées ont suscité l’émoi et la colère auprès de nombreux acteurs du culte musulman en France. Face à la controverse qu’elle suscite, quatre instances ont fait le choix d’attaquer l’étude devant la justice.

Le sondage Ifop prétendant faire un « état des lieux du rapport à l’islam et à l’islamisme des musulmans de France » a suscité de vives réactions à sa sortie mardi 18 novembre. Les données et conclusions de l’étude ont largement été reprises sans nuance par des journaux de droite et d’extrême droite mais aussi par d’autres médias mainstream, bien qu’elle comporte de nombreuses failles. 

Face aux grandes faiblesses d’un sondage qui surinterprète la pratique religieuse des jeunes fidèles à l’islam et qui mélange à souhait rigorisme, islamisme, intégrisme et radicalisme, les Conseils départementaux du culte musulman (CDCM) du Loiret, de l’Aube et des Bouches-du-Rhône ont décidé d’attaquer le sondage devant la justice.* 

« Ce sondage viole le principe d’objectivité posé par la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et la diffusion des sondages d’opinion, se fonde sur des questions orientées et se focalise sur des résultats minoritaires mis en avant à des fins polémiques », font part les avocats Raphael Kempf et Romain Ruiz dans un communiqué en date du samedi 22 novembre dans lequel est annoncé le dépôt d’une plainte contre X auprès du tribunal judiciaire de Paris. 

« Une insulte aux musulmans de France »

L’étude a été commandée par Écran de veille, une revue confidentielle liée au groupe Global Watch analysis dont l’essentiel des publications porte sur « l’entrisme islamiste » dans les sociétés occidentales. « Commandé par une officine nébuleuse et réactionnaire, ce sondage repris par plusieurs médias d’extrême droite est une insulte aux musulmans de France et une injure aux valeurs d’égalité et de fraternité promues par notre République », indiquent-ils. 

« En distillant le poison de la haine dans l’espace public, ce sondage renforce les amalgames dans un contexte où les chiffres du ministère de l’Intérieur montrent une explosion des actes antimusulmans, en hausse de 75 % par rapport à l’année 2024 », poursuivent les avocats. 

« Notre démarche se concentre sur deux points : des interrogations méthodologiques, liées à la formulation de certaines questions et à la manière dont les résultats ont été présentés ; le risque d’interprétations publiques inexactes, compte tenu de la sensibilité du sujet et de l’impact que ces données peuvent avoir sur l’image d’une partie de la population », indique auprès de Saphirnews une source du CDCM Loiret. « L’objectif n’est pas d’ouvrir une polémique, mais de garantir un niveau d’exigence suffisant dans la production et la diffusion de données d’opinion afin d’éviter toute lecture biaisée. »

Un sondage aux conclusions sombres et dangereuses

« Le dernier sondage de l’IFOP, pointant une prétendue radicalisation des jeunes musulmans, présente de manière alarmiste une réalité largement plus nuancée. La très grande majorité des musulmans mène une vie religieuse paisible, respectueuse des lois de la République et étrangère à toute forme d’extrémisme », souligne, de son côté, la fédération Musulmans de France (MF), qui dénonce une nouvelle enquête de nature à entretenir « un climat de suspicion (envers les musulmans) préjudiciable à la cohésion nationale »

« Dans un contexte d’incertitude sociale, politique et identitaire, les jeunes – de toutes origines et confessions – cherchent des repères et du sens. Leur quête spirituelle et existentielle est légitime et naturelle. La considérer comme un problème uniquement lorsqu’il s’agit de jeunes musulmans relève d’un traitement inéquitable et inquiétant », relève l’organisation musulmane. « Depuis quand une pratique assidue serait-elle un marqueur de radicalité ? Les travaux scientifiques montrent exactement l’inverse : les pratiquants réguliers sont généralement les plus éloignés de toute forme de violence et les plus ancrés dans leur environnement social. Opposer pratique religieuse et citoyenneté est incohérent et ne correspond en rien à la réalité. » 

Le sondage controversé « s’apparente à une nouvelle mise à l’index des citoyens français de confession musulmane et de leurs pratiques religieuses », a aussi réagi sur X le Conseil français du culte musulman (CFCM). Il déplore comme tant d’autres « des questions portant sur la « charia » ou sur une supposée « sympathie » envers des courants extrémistes (en utilisant) des termes flous et mal définis. S’y ajoute une méconnaissance, en particulier chez les plus jeunes, des notions citées (Frères musulmans, salafisme, wahhabisme…), malgré la présence de ces notions dans le débat public »

« L’enquête affirme que « sur tous les indicateurs, les jeunes musulmans sont plus rigoristes et plus radicaux que leurs aînés ». Cette conclusion ne fait pourtant que refléter un biais classique des enquêtes téléphoniques : les plus âgés tendent à sous-déclarer leur pratique religieuse, par retenue ou par crainte d’être mal compris ; les plus jeunes tendent à sur-déclarer leur religiosité, souvent en réaction à un contexte de forte stigmatisation », souligne, entre autres éléments, l’instance, pour qui « les conclusions qui en ont été tirées ont été largement reprises et instrumentalisées par les cercles islamophobes pour dépeindre les musulmans comme une menace intérieure et existentielle pour notre pays et ses institutions ».

Saphirnews

F. Achouri

Sociologue et consultante en développement des ressources humaines.

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