Intelligence artificielle et spiritualité : les enjeux d’une rencontre inattendue

Diriger, Filaire, Visage, Lignes, RobotLes réflexions sur les différences entre l’intellect humain et l’intelligence artificielle, ainsi que sur la définition de la conscience, sont des sujets qui ont été abordés lors d’un séminaire organisé par l’université de Chicago. L’une des plus prestigieuses universités outre-Atlantique a invité autour d’une même table un maître soufi et un expert en intelligence artificielle pour discuter des enjeux de l’intelligence artificielle face à la spiritualité.

Spiritualité et Intelligence artificielle : entre quête de sens et inquiétudes

« Qui suis-je ? », « Quel est le but de la vie ? », c’est à ce type de questions existentielles que les différentes spiritualités proposent depuis toujours d’apporter des réponses. En imitant l’intelligence humaine par le biais d’algorithmes sophistiqués, l’intelligence artificielle pourra-t-elle un jour prétendre répondre à ces questions ? Les différentes applications de l’IA poussent aujourd’hui de nombreux chercheurs à se questionner sur les enjeux éthiques et moraux de cette technologie. Les récentes évolutions laissent entrevoir la possibilité que l’être humain puisse se confronter un jour à des « machines pensantes », assimilables à des « personnes artificielles ».

Cette possibilité bouscule naturellement la place de l’Homme dans la création et son rapport à la transcendance. Certains s’inquiètent de l’avancée de l’IA et de son potentiel impact sur l’humanité : déshumanisation des interactions sociales, possibilité hypothétique que l’IA devienne suffisamment avancée pour menacer l’existence de l’humanité. Quelle place occupera l’Homme après l’ouverture de cette prétendue boîte de Pandore ?

C’est autour de ces questions que l’université de Chicago, l’une des plus prestigieuses universités américaines, a invité, jeudi 4 mai, autour d’une même table Muhammad Faouzi Al-Karkari, maître fondateur de la confrérie soufie Karkariya, et Saad Ansari, directeur chez Jasper AI, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle.

Des points de vue différents sur l’intelligence et la conscience

Lors de cette conférence qui abordait les enjeux de l’IA face à la spiritualité, le maître soufi a immédiatement tenu à affirmer que l’intelligence humaine est de l’ordre du Souffle divin et de ce fait, l’être humain reste et restera, selon un point de vue islamique, le « vicaire de Dieu sur terre », et ce quels que soient les progrès technologiques de l’humanité. Quant à l’intelligence artificielle, elle ne pourra jamais atteindre un état de conscience.

La conscience, « étroitement liée à la connaissance de soi qui est le chemin menant vers la compréhension de Dieu et du cosmos », est une expérience individuelle qui ne peut pas être reproduite artificiellement par une machine. Cette connaissance ne peut être atteinte que par l’expérience spirituelle et sensorielle. Selon lui, l’IA ne peut donc pas posséder de conscience car elle n’a pas accès aux émotions et aux expériences sensorielles qui constituent l’essence de la conscience humaine. Et en dépit de la quantité d’informations et de données que peut accueillir une intelligence artificielle, « elle ne pourra jamais qu’imiter la conscience humaine sans jamais accéder à la conscience d’elle-même ».

« L’intelligence artificielle se nourrit de ce que l’intellect humain a produit et donc, quel que soit son évolution, elle restera dépendante de l’humanité », indique le maître soufi. Dans cette perspective, l’IA est donc considérée comme un produit de l’Homme, une expression limitée de son expérience vécue. Ainsi, même si l’IA continue de progresser et de se rapprocher de l’intelligence humaine, elle ne pourra jamais égaler la conscience humaine, celle-ci n’étant pas seulement le résultat de processus mentaux rationnels, mais aussi d’une expérience profonde et intime de la vie intérieure de l’individu.

De son côté, Saad Ansari, directeur chez Jasper AI, a expliqué que « l’IA peut donner la perception de comprendre ce qu’on lui dit mais intrinsèquement, ce n’est pas le cas ». Il cita durant son intervention Geoffrey Hinton, un des pères de l’intelligence artificielle qui, depuis peu, s’est transformé en lanceur d’alerte. La principale différence entre l’IA et les technologies antérieures à ses yeux est qu’aujourd’hui, il ne s’agit plus de se demander si un outil peut être utilisé par des personnes mal intentionnées ; c’est l’outil en lui-même qui nous interroge, en tant qu’humanité, sur de nouvelles questions éthiques. Comment apprendre à une machine des questions d’ordre éthique ?

 

Spiritualités et religions : le retour aux sens et au sensible

Il est intéressant de noter que l’université de Chicago a choisi d’entendre le point de vue d’un maître soufi et non pas d’un simple religieux sur le sujet. Notre monde moderne étant de plus en plus axé sur la rationalité et la science, certaines personnes peuvent être tentées de considérer la religion comme une simple pratique mécanique et dénuée d’expériences spirituelles profondes.

A plusieurs reprises durant la conférence, le maître soufi a souligné l’importance de l’expérience sensorielle dans la quête de la connaissance qui, elle-même, ne peut pas être réduite à du traitement d’informations. « La simple expérience que nous vivons actuellement est une expérience source de connaissance profonde qu’une intelligence artificielle ne pourra jamais expérimenter. Je pourrais même rester assis là, sans dire un mot et le simple fait de vous faire un regard empreint de tendresse et d’amour, me permet de créer avec vous un lien particulier, une connexion, et de vous faire ressentir cet amour que je vous porte. Aucune intelligence quelle qu’elle soit ne pourra ressentir ce que vous ressentez en ce moment. Aucune intelligence ne pourra vous faire ressentir cela. Aucune intelligence artificielle ne pourra jamais accéder à ce niveau de connaissance », a-t-il martelé lors d’un échange avec le public.

Si l’IA peut être utile pour mieux connaître les religions ou aider à traiter, par exemple, de questions de jurisprudence, elle permet aujourd’hui de rappeler la nécessité de l’expérience sensorielle dans son rapport au divin et plus largement dans notre expérience avec les êtres qui nous entourent.

Saphirnews

F. Achouri

Sociologue.

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