Israël et Arabie saoudite : les discussions secrètes

Unis face à la menace d’un Iran nucléaire, les deux pays que tout oppose se sont rencontrés à cinq reprises depuis 2014 pour contrecarrer Téhéran.

 

 
L'ancien général saoudien Anwar Majed Eshki (à gauche) serrant la main de l'ex-ambassadeur et nouveau directeur du ministère israélien des Affaires étrangères Dore Gold, le 4 juin 2015 au Council on Foreign Relations, à Washington.
          Une peur aiguë peut parfois provoquer des réactions inattendues. Ainsi, la crainte d’un Iran nucléaire peut-elle pousser deux pays que tout oppose – Israël et l’Arabie saoudite – à entamer un improbable rapprochement. D’un côté, l’État hébreu, une démocratie ultra-militarisée non reconnue par la majorité des pays arabes en raison du conflit qui l’oppose aux Palestiniens. De l’autre, une pétromonarchie absolue fondée sur l’islam wahhabite, une idéologie ultra-rigoriste qui a inspiré des groupes djihadistes tels que l’organisation État islamique (EI)

Mais ces deux États aux antipodes l’un de l’autre demeurent sous la protection d’un même allié inconditionnel : les États-Unis, qui les soutiennent pour des raisons idéologiques et stratégiques (Israël), ou économiques (alliance pétrole contre sécurité avec l’Arabie saoudite). Mais ce jeu d’alliances est aujourd’hui remis en cause par le rapprochement lancé entre Washington et Téhéran depuis 2013 à la faveur des négociations sur le nucléaire iranien. Ce qui inquiète au plus haut point Tel-Aviv et Riyad.

Cinq rencontres secrètes

Vent debout contre la perspective d’un accord final sur le nucléaire iranien le 30 juin prochain à Vienne qui signerait le retour de l’Iran sur le devant de la scène internationale, Israël et l’Arabie saoudite, qui ne participent pas aux négociations, ont entamé depuis 2014 des discussions secrètes. À cinq reprises, des représentants des deux pays se sont rencontrés en Inde, en Italie et en République tchèque pour évoquer les moyens de contrer l’influence de l’Iran dans la région.

Le secret a été levé le jeudi 4 juin dernier à Washington par l’ancien général saoudien Anwar Majed Eshki et l’ex-ambassadeur israélien à l’ONU Dore Gold, désormais nouveau directeur général du ministère israélien des Affaires étrangères. « Il est vrai qu’aucun des deux n’est un responsable officiel », admet Elliot Abrams, chercheur au Council on Foreign Relations – un think tank américain -, qui a présidé la séance. « Mais tous deux ont eu une longue carrière publique. Ils n’auraient pas participé à ces discussions et ne les auraient pas officialisées sans l’accord de leur gouvernement. »

Annonce historique

L’annonce est en effet historique, les deux pays n’ayant jamais entretenu de relations diplomatiques. En 2002 pourtant, Riyad avait tendu la main à Israël, lui proposant la normalisation de ses relations avec l’ensemble des pays arabes en échange de la reconnaissance d’un État palestinien et du démantèlement de toutes les colonies israéliennes en Territoires palestiniens (illégales selon le droit international). Or, l’initiative saoudienne, à laquelle avait d’ailleurs participé l’ex-général Anwar Majed Eshki, était restée lettre morte.

Cette fois, l’influence grandissante de l’Iran dans la région est un sujet autrement plus brûlant aux yeux des deux pays. Par l’entremise du Hezbollah au Liban, de Bachar el-Assad en Syrie, du gouvernement et des milices chiites en Irak, ou des rebelles houthis au Yémen, la République islamique avance ses pions, au détriment d’Israël mais surtout de l’Arabie saoudite, la grande puissance sunnite et rivale de l’Iran chiite dans la région. Dans ce contexte déjà favorable, un Iran débarrassé des sanctions internationales qui plombent son économie en raison de ses activités nucléaires décuplerait ses capacités d’influence régionale, au grand dam de ses rivaux directs israéliens et saoudiens.

 

Le Point

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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