En France, dès la fin des années 60, le monde de l’industrie automobile connait une immigration de travail massive d’ouvriers de confession musulmane venus principalement du Maghreb afin d’occuper des emplois sur les chaînes de montage. Les grands groupes automobiles d’alors, comme Renault et Peugeot, vont mettre en place des salles afin de permettre à ces ouvriers musulmans d’observer la prière, l’un des cinq piliers de l’islam.
Plus de 50 ans plus tard, alors que la question du voile avec sa visibilité dans l’espace public occupe le débat politique, la dimension centrale de la prière au travail a été occultée par les directions. Aujourd’hui, parler de fait religieux au travail renvoie souvent à la question de la femme voilée dans l’entreprise. L’actualité anxiogène autour du terrorisme islamiste et d’une « nouvelle laïcité » idéologiquement puissante, ont également fait reculer les organisations sur les débats dits d’accommodements raisonnables. Occulter la prière dans le monde professionnel ne fera pas disparaître pour autant une demande grandissante de salariés musulmans de pouvoir prier sur leur lieu de travail, sans forcément subir de discrimination ou de se voir refuser une éventuelle promotion, au prétexte d’afficher leur appartenance religieuse.
L’islam aujourd’hui alimente de nombreuses craintes et fantasmes qui empêchent d’aborder sereinement, sans passion et sans représentations négatives, la question de la prière au travail. Alors qu’en prenant en considération la dimension religieuse de leur personnel, les managers l’envisageraient davantage comme une dynamique positive. Sans verser dans un quelconque prosélytisme, pourrait-on imaginer un instant, dans un esprit de normalité et du droit, que la prière puisse être effectuée sur le lieu de travail au même titre qu’un temps de pause-café ou cigarette, sans que cela soit connoté négativement ? Les salariés musulmans font partie intégrante de l’organisation au même titre que leurs collègues et adhèrent pleinement à l’objectif commun. Ne pas pouvoir effectuer leur prière sur le lieu de travail nourrit des frustrations parmi des salariés qui ne se sentent pas reconnus dans leur identité pleine. À l’inverse, combien sont-ils à se dérober du regard de leurs collègues pour aller prier en cachette, parfois dans un endroit insalubre, afin d’accomplir un acte vécu comme une parenthèse apaisante au milieu d’une journée stressante ? Pourquoi un tel blocage dans l’organisation ?
La méconnaissance de l’islam avec la dimension centrale qu’est la prière, pousse souvent les managers à ignorer l’importance de cette question, persuadés que la prière engendrerait désorganisation et tensions entre collègues. Mieux connaître les obligations du musulman, lorsque cela est envisagé comme un enjeu pour l’organisation, c’est œuvrer pour une meilleure communication. Ainsi, comprendre la dimension centrale de la prière, c’est considérer l’identité plurielle d’un salarié et faire le choix notamment de sa motivation et de son adhésion aux valeurs communes de l’entreprise.
F. Achouri