Sans surprise, les députés ont rejeté la proposition de loi de l’UMP défendue, jeudi 6 juin, à l’Assemblée nationale. Ce texte proposait de modifier le code du travail « afin de fixer un cadre aux restrictions visant à réglementer le port de signes et les pratiques manifestant une appartenance religieuse [dans les entreprises et les associations] » et de permettre aux chefs d’entreprise qui le souhaitent de l’inscrire dans le règlement intérieur. Un texte qualifié de « pragmatique » et de juridiquement solide par le rapporteur, Eric Ciotti. « Ce texte est une avancée républicaine qui s’inscrit dans la lignée de la loi de 2004 [interdisant le port de signes religieux à l’école] ou la circulaire de rentrée 2012 [qui restreint la possibilité pour les mères portant le foulard d’accompagner les sorties scolaires] », a aussi défendu l’ancien ministre de l’éducation Luc Chatel.
« Une loi de trop », Daniel Vaillant, député socialiste
Les débats qui se sont tenus devant un hémicycle clairsemé ont mis en lumière les différentes approches, à droite et à gauche, quant à la nécessité de légiférer à nouveau sur la neutralité religieuse au-delà des services publics. Parmi ceux qui se sont abstenus (UDI, PCD) ou qui ont voté contre (PS, EELV), beaucoup ont évoqué l’étude récemment produite par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (Sciences Po Rennes), qui estime que 94% des cas de demandes liées au fait religieux dans l’entreprise sont réglés par le dialogue. Au centre et à droite, Arnaud Richard (UDI) et Jean-Frédéric Poisson (PCD) ont estimé que le texte discuté était de portée « trop générale« , face à « la diversité des situations« , plaidant pour un dialogue avec les partenaires sociaux.
Plusieurs députés de gauche se sont montrés plus dubitatifs encore sur la nécessité d’une loi. « Une loi de plus serait une loi de trop, a lancé le socialiste Daniel Vaillant, avançant en outre qu’elle « risquerait de heurter les responsables des religions« . « Le port d’un vêtement à caractère religieux ne constitue pas en soi un acte de prosélytisme« , a aussi jugé la socialiste Cécile Untermaier, qui a dénoncé une approche « liberticide« . Mais, chez les radicaux, Annick Girardin (RRDP) a pour sa part réaffirmé que « le principe de laïcité devait être respecté dans les structures privées de la petite enfance », se félicitant de la proposition de loi de la sénatrice Françoise Laborde qui va dans ce sens.
« Une loi n’est pas exclue, le moment venu », Michel Sapin, ministre
Le ministre de la formation professionnelle et du dialogue social, Michel Sapin, qui, au nom du gouvernement a rejeté ce texte, a plaidé pour « une laïcité de sang-froid, sans laxisme et sans surenchère », appelant à « dégonfler les fantasmes ». « Il y a des cas [d’atteinte à la laïcité] qui heurtent mais il n’y a pas de dérives à grande échelle. Le code du travail apporte des réponses« , a-t-il indiqué. « La laïcité se construit en parlant avec les salariés« , a-t-il défendu, s’interrogeant sur la pertinence d’une loi pour « faire changer les comportements« .
Mais, il a néanmoins conclu en indiquant que « le moment venu, une loi n’était pas exclue », notamment pour les structures accueillant des enfants, conformément à ce qu’avait préconisé le président de la République fin mars sur France 2, peu après l’arrêt de la cour de cassation sur l’affaire de la crèche Babyloup. Lors de l’installation de l’Observatoire de la laïcité, le 8 avril, M.Hollande s’est toutefois montré moins explicite, demandant à ses membres de lui « faire des propositions » sur « la définition et l’encadrement de la laïcité dans les structures privées qui assurent une mission d’accueil des enfants » et « d’apaiser le pays » sur ces questions.
Nombre de députés, à gauche, s’en remettent donc à cette nouvelle instance qui doit remettre un rapport d’étape fin juin. Sans préjuger des recommandations que ferait l’Observatoire, son président Jean-Louis Bianco a indiqué devant la commission des lois avoir constaté lors d’un premier bilan que nombre de questions étaient réglées par le dialogue. Le député socialiste Jean Glavany, membre de l’Observatoire de la laïcité, a devant l’Assemblée nationale assuré que ses membres travaillaient à « un consensus, y compris dans une perspective législative« .
Source : Le Monde.fr