Laïcité : le Conseil d’Etat ouvre une nouvelle brèche dans la loi de 1905…

Un arrêt du Conseil d’Etat passé inaperçu valide une convention par laquelle la région Rhône-Alpes s’engageait à financer, pour un montant de 400.000 euros, la restauration de la basilique d’Annaba en Algérie, basilique appartenant à une association diocésaine algérienne et qui n’est pas un monument historique au sens de la loi française.

        Un arrêt du Conseil d’Etat passé inaperçu des médias(17 février 2016 – Région Rhône-Alpes contre Sieur Vianès et autres) vient d’ouvrir une brèche supplémentaire dans la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l’Etat. Cet arrêt valide une convention par laquelle la région Rhône-Alpes s’engageait à financer, pour un montant de 400.000 euros, la restauration de la basilique d’Annaba en Algérie, basilique appartenant à une association diocésaine algérienne et qui n’est pas, bien entendu, un monument historique au sens de la loi française.

En droit français, les personnes publiques (Etat et Collectivités territoriales), ne sont habilitées à financer les travaux sur édifices cultuels que dans les conditions fixées par les articles 13 et 19 de la loi de 1905. Ces dispositions sont des exceptions au principe de non subventionnement des cultes prévu à l’article 2 de cette loi. La logique de la loi est donc une logique d’interdiction de subventionnement assortie d’exceptions : lorsque l’on n’est pas dans le champ des exceptions, l’interdiction est la règle. S’agissant des édifices cultuels dont les personnes publiques sont propriétaires, ces dernières sont habilitées à financer les travaux « d’entretien et de conservation », comme en a la charge tout propriétaire. D’autre part, pour les autres édifices, en propriété des associations cultuelles, seul le financement des travaux de « réparations » est possible de la part des personnes publiques. Ces dernières ne peuvent donc financer, légalement, des travaux de conservation sur les édifices qui ne leur appartiennent pas. Tel est l’état du droit. La question était donc de savoir si une région peut faire au delà de nos frontières ce qu’elle ne peut pas faire en deçà ? Le Conseil d’Etat, à la surprise générale, a répondu positivement par l’arrêt du 17 février 2016.

Dans le cas de la basilique d’Annaba, la convention de coopération est très claire : il ne s’agit pas de travaux de « réparations », mais «de restauration et de mise en valeur » du type de ceux que les personnes publiques ne peuvent financer que lorsqu’elles sont propriétaires de l’édifice cultuel. Néanmoins, le Conseil d’Etat balaie la question de la conformité à la loi de 1905 d’un revers de main succinct et peu motivé. On cite en « note » l’arrêt dans tous ses mots, ce qui ne coûte pas cher tant il en est économe.

Exit donc les articles 13 et 19 de la loi définissant le régime de financement public des travaux sur édifices cultuels, la Haute juridiction, pour l’au delà de nos frontières, laisse de côté ces articles et ne fait référence qu’à l’article 2 de la loi…. Il est vrai que l’article 19 concerne les associations cultuelles françaises, ou présentes sur notre sol, ce qui n’est pas le cas de l’association propriétaire de la basilique qui est algérienne. Mais, outre que le Conseil d’Etat aurait pu considérer que le principe posé à l’article 19 s’applique aussi en matière de coopération internationale, il eut dû voir, on le redit, que la logique de la loi de 1905 est celle du principe d’interdiction de subvention « sous quelque forme que ce soit » et que les exceptions à ce principe sont strictement mentionnées par la loi (tel l’article 19). En conséquence, hors du champ d’une telle exception ce n’est pas la possibilité de financement qui s’impose mais l’interdiction de subvention. Le Conseil d’Etat, là encore, inverse cette logique. Sur ce point d’ailleurs, la consultation des conclusions du rapporteur public éclaire cette décision très laconique du Conseil d’Etat, mais c’est d’un jour crépusculaire.

En effet, si le rapporteur public a considéré que le financement par la région ne cadrait pas avec les conditions fixées par la loi de 1905, ni même avec celles de la jurisprudence habituelle du Conseil d’Etat, il a néanmoins dû admettre que la loi de 1905 devait s’appliquer à l’action internationale des collectivités territoriales. Soutenir le contraire eût été franchement grossier. Dès lors, pour dépasser la contradiction rencontrée, le rapporteur public est allé imaginer, au prix de contorsions intellectuelles hasardeuses, une application « moins intensive » de la loi de 1905 à l‘action internationale des collectivités territoriales (sic) et, cerise sur le gâteau, une transcendance du « culturel » sur le « cultuel » pour proposer au final au Conseil d’Etat de valider le financement par la région Rhône-Alpes des travaux sur la basilique d’Annaba. On ne peut qu’être admiratif devant tant d’imagination…

Le même raisonnement pourrait-il valider demain, sur notre sol, le financement sur fonds publics de tous travaux sur édifices cultuels ? Sera-ce la prochaine étape jurisprudentielle, en quelque sorte, l’application du régime d’Alsace Moselle à tout le territoire national, via un détour initiatique par l’Algérie ? On a envie de demander : avec ou sans le délit de blasphème ? Mais, nous ne le pensons pas car, même si le Conseil d’Etat semble vouloir utiliser depuis une vingtaine d’années chaque interstice dans la loi pour élargir les possibilités de financement public, il reste la barrière insurmontable de l’article 2 de la loi qu’il ne pourra jamais franchir. Faut il du moins l’espérer, quand on voit qu’il est prêt à consacrer un régime de financement sur fonds publics des travaux sur édifices cultuels plus lâche à l’étranger que sur notre propre sol. En quoi les fonds publics doivent ils pouvoir être davantage sollicités au profit des cultes au delà de nos frontières ? Personne ne le sait. Une certaine aberration au regard du bon sens semble ainsi s’ajouter à une appréciation juridique très discutable.

Avec « l’intensité variable » d’application de la loi de 1905 selon la localisation géographique et le « culturel » qui transcende le « cultuel », on a manifestement passé une borne dans l’objectif de « sauver » le financement public indirect d’un culte. Quelles qu’en soient les motivations patrimoniales, ou touristiques, au demeurant respectables mais inopérantes contre la loi dans un Etat de droit, un nouveau cap nous semble avoir été franchi alors même que, compte tenu des circonstances que nous traversons, nos concitoyens attendent un degré d’exigence laïque plus élevé. Mais, dans un Etat de droit également, ce ne peut être à l’encontre du seul islam et toutes les confessions doivent être maintenues à égale distance des personnes publiques qu’il s’agisse de leurs services, de leurs agents ou de leurs fonds. Sinon, pas à pas au gré des circonstances contentieuses, on ne peut que s’engager dans une voie très dangereuse.

 

Marianne

F. Achouri

Sociologue.

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