Le social, enjeu du séjour du pape en Amérique latine

Le pape François bénit la foule sur la place Saint-Pierre de Rome, le 24 juin.    Trois semaines après la parution de son encyclique « historique » consacrée à l’environnement, le pape François entreprend un voyage en Amérique du Sud qui pourrait faire écho à ses engagements politiques et sociaux. Du 5 juillet au 12 juillet, il se rend en Équateur, en Bolivie et au Paraguay. Comme il l’avait fait en Europe, avec l’Albanie et la Bosnie, il a choisi, pour le premier voyage décidé par lui sur son sous-continent natal, trois « petits » pays, aux prises avec des situations économiques difficiles et de grandes poches de pauvreté. Ce sont aussi trois États avec une forte composante amérindienne, inscrivant ainsi la diversité culturelle dans cette tournée. Au côté de l’espagnol, les langues quechua, aymara et guarani seront d’ailleurs présentes, notamment dans la liturgie.

Dans les deux premiers pays, François sera accueilli par des chefs d’État avec qui, selon l’un de ses proches, il a « beaucoup de points d’entente ». Il apprécie la capacité de Rafael Correa et Evo Morales, les présidents équatorien et bolivien, à « sortir leur pays de l’immobilisme séculaire » en s’appuyant sur une forte composante populaire et sur un discours qui ne répugne pas à l’épopée, fût-ce au risque d’accents autoritaires. Rafael Correa, fervent catholique, a été reçu par le pape en avril, à l’occasion de sa participation à un colloque sur la « justice climatique » organisé au Vatican. Evo Morales, lui, avait rencontré le pape argentin en octobre 2014, alors qu’il était venu participer à la première rencontre internationale des mouvements populaires, organisée à Rome par l’Académie pontificale des sciences sociales.

A l’occasion de cette rencontre rassemblant des organisations de défense de paysans sans terre, d’habitants de bidonvilles, de chiffonniers et de toutes sortes de travailleurs précaires, François avait prononcé un discours très offensif, encourageant « les pauvres » à ne plus « seulement subir l’injustice », mais à être « acteurs » et à « lutter contre elle ». « Votre cri dérange, sans doute parce que l’on a peur du changement que vous exigez », avait-il lancé, érigeant la terre, le logement et le travail au rang de « droits sacrés ».

Le pape apprécie la capacité de Rafael Correa et d’Evo Morales à « sortir leur pays de l’immobilisme séculaire »

Ce discours, qui contenait plusieurs éléments développés dans l’encyclique Laudato si’, publiée le 18 juin, sera sans doute poursuivi le 9 juillet, en Bolivie, à l’occasion de la deuxième rencontre des mouvements populaires. Il est au cœur du projet consistant à placer les pauvres au centre de la vie de l’Église catholique. Le pape s’emploiera aussi à améliorer les relations parfois tendues entre les épiscopats locaux et les autorités politiques d’Équateur et de Bolivie.

« Plus jamais la guerre »

Au long d’un périple qui devrait être très fatigant pour lui, le pape ira comme à son habitude à la rencontre des plus déshérités ou marginalisés : personnes âgées dans un centre de charité en Équateur, détenus dans la prison de Palmasola (Bolivie), enfants malades à Asuncion (Paraguay), où il visitera aussi un bidonville. La capitale paraguayenne, frontalière de l’Argentine, devrait voir affluer les Argentins désireux de voir « leur » pape.

La revendication séculaire d’un accès à la mer, perdu par la Bolivie au XIXe siècle à l’issue d’une guerre avec le Chili, pourrait aussi refaire surface pendant le voyage. Devant le refus du Chili de rétrocéder à la Bolivie une frange côtière, Evo Morales a saisi la Cour internationale de justice. Le sujet est délicat, mais « le pape a en ce moment un leadership spirituel énorme, qui s’est transformé en leadership politique » et qu’il est tentant d’utiliser, affirme un familier. Le « plus jamais la guerre », lancé encore récemment à Sarajevo par le pape, pourrait servir à nouveau entre voisins latino-américains. Un appel à la paix trouvera un écho particulier au Paraguay, dont une grande part de la population a été décimée au cours de l’atroce guerre de la Triple-Alliance (Argentine, Brésil et Uruguay, 1865-1870). Dans ces pays éprouvés par les dictatures militaires, ce message s’accompagnera d’un encouragement à persévérer dans la voie de la démocratie.

Tout au long de la visite, le pape aura l’occasion de mettre en lumière le rôle important joué par les missions jésuites dans l’évangélisation du sous-continent pendant la période coloniale. C’est particulièrement le cas au Paraguay, où persiste l’empreinte laissée par les « réductions » jésuites. Implantées entre les XVIe et XVIIIe siècles, ces missions regroupaient des populations amérindiennes soustraites au contrôle des autorités politiques – et à l’esclavage – et organisées dans une sorte d’archipel étatique unique en son genre, dirigé par les jésuites. Des milliers d’Indiens guaranis y ont trouvé une protection sans équivalent dans le sous-continent.

Enfin, le pape se rendra dans deux sanctuaires consacrés à la Vierge : El Quinche, près de Quito, en Équateur, et Caacupé, au Paraguay. En revanche, il a dû renoncer à se rendre au sanctuaire de la Vierge noire de Copacabana, sur les berges du lac Titicaca, en raison de l’altitude (3 800 mètres).

 

Le Monde.fr

 

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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