Devant l’Observatoire de la laïcité, le président de la conférence des évêques de France a déploré récemment la faible présence de livres religieux dans les bibliothèques publiques.
Par manque de formation et par crainte de faire du prosélytisme, la plupart de ces établissements hésitent, en effet, à acquérir des ouvrages de ce type.
Si le christianisme est quantitativement bien représenté, les livres proposés sont souvent peu adaptés au grand public.
La mythologie égyptienne, Les mystères de la Bible, L’Église face aux miracles, L’univers du zen, Le silence de Bouddha. Ces cinq ouvrages se touchent ou presque sur l’un des cinq rayons « religions » de la bibliothèque municipale Andrée-Chedid, dans le 15e arrondissement de Paris.
Ce surprenant syncrétisme se constate aussi à la bibliothèque Abbé-Grégoire de Blois (Loir-et-Cher), plutôt bien pourvue dans le domaine religieux avec environ 500 ouvrages, mais où l’on note d’étranges proximités entre des ouvrages incontournables, tels Histoire du catholicisme de Jean-Pierre Moisset, L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge, de Francis Rapp et d’autres bien plus anecdotiques.
Dans ces deux établissements publics, d’autres choix et rangements peuvent surprendre. Ainsi, des ouvrages sur l’Opus Dei ou sur les templiers sont classés au sous-rayon « saints », où Jean-Paul II cohabite avec Julien Green. Le sous-rayon « protestantisme » semble privilégier des auteurs anciens, tels Pierre Jurieu, défenseur des droits des nations au XVIIIe siècle. Quant aux rayons « judaïsme » et « islam », ils apparaissent maigres et peu actualisés. Ce qui fait dire à une mère de famille blésoise, catholique pratiquante et habituée de la bibliothèque Abbé-Grégoire, que « la proposition en livre religieux ne correspond guère à la demande d’aujourd’hui ».
« Des ouvrages nullement fondamentaux et sans consistance »
Des propos qui font écho aux paroles de Mgr Georges Pontier, président de la Conférence des évêques de France, le 10 mars, devant l’Observatoire de la laïcité : « Les départements religieux dans les bibliothèques ou les médiathèques offrent souvent des ouvrages nullement fondamentaux et sans consistance », déplorait-il. De fait, le constat est partagé par plusieurs experts. « Alors que les pratiques religieuses connaissent un regain manifeste, proposer une offre documentaire cohérente sur les religions, davantage en phase avec les attentes des publics et le respect du pluralisme, n’est pas toujours considéré comme une priorité », écrivait en 2010 Valérie Tesnière (1), après avoir piloté une enquête sur ce thème avec des élèves de l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).
« Une première difficulté réside dans l’organisation du fonds d’une bibliothèque », explique aujourd’hui Valérie Tesnière, directrice de la Bibliothèque de documentation internationale et contemporaine. La classification dite « Dewey » (développée en 1876 par un bibliographe américain) range tout ce qui relève des religions sous la cote « 200 » avec l’ésotérisme, mais classe en « 100 » la religion d’un point de vue philosophique et psychologique, en « 300 » la religion sous l’angle sociologique ou anthropologique, en « 700 » la religion et l’art, et en « 900 » les approches historique ou géographique… D’où l’effet d’éparpillement dans les rayons…
Si le christianisme (cote « 230 ») est surreprésenté dans les rayons en libre accès des bibliothèques municipales, en comparaison des autres religions (regroupées sous la cote « 290 »), les ouvrages proposés sont surtout des encyclopédies et dictionnaires, des concordances bibliques et des manuels d’exégèse ou de patristique, extrêmement utiles pour travailler sur des fonds hérités de bibliothèques de séminaires, mais déroutants pour des usagers moins spécialisés.
« Bon nombre de bibliothécaires ne sont pas à l’aise sur ces sujets, surtout sur l’islam »
Une autre raison serait-elle à chercher dans une conception parfois crispée de la laïcité dans l’espace public ? « Bon nombre de bibliothécaires ne sont pas à l’aise sur ces sujets, surtout sur l’islam », regrette Valérie Tesnière. Par prudence et par souci d’impartialité, ils optent pour un service minimum. Ce que déplore Christophe Langlois, directeur des bibliothèques de l’Institut catholique de Paris, après plus de dix ans comme conservateur à la Bibliothèque nationale de France : « Pour ne pas faire d’erreur, on préfère ne rien faire. Ou alors, on raisonne par pourcentage », constate-t-il, en évoquant des achats d’ouvrages quantitativement proportionnels aux populations chrétienne, musulmane, juive ou bouddhiste.
Face à ces carences, Bertrand Calenge, directeur des études de l’Enssib, est très clair : « Le rôle d’un bibliothécaire est aussi de s’attaquer aux non-dits. Et lorsqu’il connaît mal un sujet, il a toute liberté pour trouver des conseillers extérieurs », affirme-t-il. Il est vrai cependant que la demande en livre religieux est nettement moins importante que pour d’autres sujets… « Comme si, soupire Bertrand Calenge, les lecteurs avaient intégré l’idée que ce n’est pas le rôle des bibliothèques publiques de fournir de la culture religieuse ! »
La Croix