Depuis plusieurs mois, la tant redoutée organisation État islamique [(EI) ou son acronyme arabe Daech] fait parler d’elle en Libye [notamment en revendiquant le 15 février l’assassinat de 21 Égyptiens coptes]. Les djihadistes contrôlent des zones dans la région pétrolifère de Syrte, ancien fief de Kadhafi et situé à 450 km à l’est de la capitale Tripoli. Ces derniers jours, le groupe a aussi pris le contrôle de l’aéroport de Syrte après des combats contre Fajr Libya (“Aube de la Libye”).
Le 31 mai, un attentat-suicide à Dafiniyah, localité située entre Zliten et Misrata [villes situées dans l’Est], a fait cinq morts et sept blessés dans les rangs de Fajr Libya. L’EI a revendiqué l’attaque sur un compte Twitter et affirmé qu’elle avait été menée par un Tunisien identifié comme Abou Wahib Al-Tounissi.
L’organisation djihadiste a, dans la foulée, prévenu les miliciens de Fajr Libya qu’ils devaient se préparer “à la guerre” à Tripoli. “Les apostats [ceux qui ont renoncé à la foi] de Fajr Libya (…) doivent savoir qu’une guerre se profile pour purger la terre de leur crasse, à moins qu’ils se repentent et retournent à leur vraie religion”, a indiqué l’EI sur Twitter. En réponse, le gouvernement de Tripoli, non reconnu par la communauté internationale, a appelé à la “mobilisation générale” contre le groupe djihadiste.
Afin d’essayer de mieux comprendre les éléments et les enjeux de ce qui semble être une nouvelle guerre, ou en tout cas une nouvelle série d’affrontements meurtriers, Tarek Mitri, ex-représentant du secrétaire général de l’ONU en Libye, répond aux questions de L’Orient-Le Jour.
Fajr Libya : quel est ce groupe et quelles sont ses composantes ?
Fajr Libya est une coalition qui a été créée l’année dernière. Elle regroupe les Brigades révolutionnaires de Misrata, qui ont joué un rôle très important pendant la révolution, et d’autres qui sont des brigades islamistes. Le groupe a été à l’origine de la formation [durant l’été 2014] d’un “gouvernement de salut national” à Tripoli, opposé au gouvernement reconnu par la communauté internationale et installé à Tobrouk [il est issu du Parlement élu en juin 2014] et qui contrôle une partie de l’est de la Libye. Fajr Libya contrôle pratiquement toute la partie occidentale et centrale du pays, en particulier les grandes villes, ainsi que la capitale Tripoli.
Pourquoi l’EI a-t-elle déclaré la guerre à Fajr Libya ?
L’EI combat des islamistes partout où ils se trouvent, que ce soit en Syrie, en Irak, etc. On n’a pas encore d’informations précises concernant le degré de son importance en Libye ; des groupes islamistes libyens lui ont prêté allégeance, il est vrai. Il y a également de gros soupçons que ce sont des militants kadhafistes. Ainsi, ce qui fut le bastion de Muammar Kadhafi, c’est-à-dire Syrte, est l’endroit où l’EI jouit de la plus grande popularité. C’est une ville qui se distingue des autres, car le dirigeant déchu lui dévoua une attention et un soin particuliers. Il est donc fort probable que Daech recrute parmi les loyalistes de l’ancien régime.
Ensuite, Fajr Libya a déclaré la guerre à Daech, et non l’inverse (depuis le début de l’année, la coalition a lancé plusieurs attaques contre le groupe djihadiste, espérant lui reprendre Syrte). Parce qu’il comprend des islamistes dans ses rangs, Fajr Libya tient absolument à se démarquer de l’EI et de ses méthodes, d’autant plus que la coalition demande à être reconnue par la communauté internationale, qui l’accuse de connivence avec des islamistes radicaux.
La Libye est aux portes de l’Europe. Quelles pourraient être les conséquences d’une montée en puissance de l’EI en Libye ? Une (nouvelle) intervention militaire occidentale devient-elle une possibilité ?
Il est difficile de prévoir ce que pourrait faire la communauté internationale, il est encore trop tôt. Jusqu’à présent, l’Europe n’a jamais rien fait. L’Occident est intervenu en Libye en 2011, mais en est parti très vite. En ce moment, les pays européens sont préoccupés par les migrants illégaux en partance de la Libye et qui déferlent sur leur sol. Ils sont plus concernés par les symptômes que par le problème en lui-même. Il leur faudrait donc mettre en place une politique plus interventionniste et plus efficace.
L’Orient Le Jour