L’Occident « n’est pas étranger » à l’expansion du groupe Etat islamique (EI) et a un intérêt à la « fragmentation » du monde musulman, a accusé mardi le cheikh d’Al-Azhar, l’une des plus prestigieuses institutions de l’islam sunnite, dans un entretien avec l’AFP.
A l’issue d’un colloque organisé à Florence (centre)sur le thème « Orient et Occident, dialogue et civilisation », le cheikh de l’université Al-Azhar au Caire, dont c’était la première venue officielle en Europe, a lourdement accusé l’Occident et en particulier les États-Unis.
Déclarant s’exprimer comme « un citoyen ordinaire » – car « Al-Azhar n’est pas un organisme politique » et joue « un rôle national au service de la patrie » (égyptienne) -, l’imam a observé: « l’apparition de Daech (acronyme arabe de l’EI), d’une telle manière improvisée, nous conduit à nous demander quelles en sont les causes profondes ».
Et « l’homme de la rue arabe pense que l’Occident n’est pas du tout étranger à son apparition. Les armes de Daech sont des armes américaines, elles ne sont pas fabriquées dans le monde arabe », a-t-il assuré.
L’EI « s’est développé trop vite, a-t-il poursuivi. Ce développement requiert des capitaux énormes. D’où viennent ces sommes d’argent? L’homme de la rue dit que l’Occident n’est pas sérieux en affrontant Daech ».
Le cheikh avance à l’appui de sa thèse trois présumés parachutages d’armes par des avions américains en faveur de l’EI. « Ils ont dit que c’était une erreur! », a-t-il observé d’un ton dubitatif, sans toutefois répondre à la question de la responsabilité éventuelle de pays arabes, notamment du Golfe, dans le renforcement et le financement de l’EI.
« Si l’ordre mondial, autrement dit l’Amérique et le monde, avaient voulu aider la coopération arabe à démanteler l’EI et ses sœurs et ses filles, ils auraient pu le faire en un seul jour », a estimé le cheikh.
« L’ordre mondial veut le chaos, il semble qu’il ait l’intention de fragmenter notre région, et l’EI est un instrument très efficace. L’EI est fonctionnel pour les grandes puissances qui ne veulent pas que cette région se développe aux côtés d’Israël ».
L’imam a par ailleurs affirmé qu' »une rencontre avec le pape (le) rendrait heureux », mais en relativisant son importance. « Si tout était dans les mains du pape ou d’autres leaders religieux, la chose aurait été résolue très rapidement. Mais la question n’est pas celle du pape ou d’Al-Azhar, elle dépend des régimes politiques qui planifient la politique militaire, économique, financière. Ce sont les puissances qui ont des bases militaires et des flottes dans les eaux arabes ».
Interrogé sur l’Égypte et les arrestations et condamnations à mort d’opposants notamment dans les rangs des Frères musulmans, l’imam s’est refusé à toute critique du régime. « Je vois que l’Égypte a surmonté le problème. C’est un pays stable avec une loi fondamentale, qui a élu son président, et cela a été un choix démocratique, tout à fait démocratique », a-t-il assuré.
« L’Égypte est en convalescence » mais « nous voyons un flux d’investisseurs qui y retournent », s’est-il réjoui.
Interrogé sur le sort des chrétiens d’Orient obligés de quitter leurs terres du fait de la progression de l’EI, le responsable sunnite égyptien a relevé que l’EI avait « tué plus de musulmans que de chrétiens ». « Si on établit des pourcentages sur les victimes, on verra que l’EI est ennemi du monde arabe et musulman, et travaille peut-être dans une coordination secrète pour fragmenter le monde arabe ».
L’historien Andrea Riccardi, fondateur de la communauté catholique de Sant’Egidio, co-organisatrice de ce colloque, a estimé que cette rencontre à Florence, en présence du cheikh égyptien, s’était avérée plus « fondamentale » que beaucoup d’autres organisés sur les liens entre Orient et Occident, islam et christianisme.
« Chaque religion n’est pas une île, il faut sortir de cela. Al-Azhar a pris l’initiative avec Sant’Egidio d’ouvrir à Florence, capitale de l’humanisme, ce dialogue des religions et des civilisations », s’est-il félicité.
Lors de ce colloque, plusieurs intervenants ont estimé que l’interventionnisme occidental était négatif et devait cesser : « il faut éliminer l’idée du policier mondial. Le seul souverain licite du monde est Allah », a dit l’Égyptien Hassan Shafi’e, président de l’Académie de la langue arabe, au Caire.
La Libre.be