Quatre-vingt millions d’euros vont être investis par la mairie de Paris, d’ici 2020, dans la restauration et l’entretien du patrimoine cultuel de la capitale. Anne Hidalgo, la maire, s’y est engagée, vendredi 10 avril, comme elle l’avait promis, en 2014, lors de sa campagne électorale municipale. L’Etat rajoutera onze millions d’euros. Somme dérisoire au regard du délabrement des édifices concernés et qui devra être largement soutenue par le mécénat, comme l’appelle, d’ailleurs fermement de ses vœux, Mme Hidalgo.
En effet, depuis la loi de séparation de l’Église et de l’État du 9 décembre 1905, Paris est propriétaire de quatre-vingt-seize édifices cultuels : quatre-vingt-cinq églises, neuf temples, et deux synagogues, précisément. L’enveloppe promise par la mairie et l’État représente « un investissement bien inférieur aux besoins », s’alarme Maxime Cumunel, de l’Observatoire du patrimoine religieux (OPR), qui, lui, estime à « 500 millions d’euros la somme nécessaire aux travaux urgents de restauration des vingt chantiers prioritaires à Paris, retenus par la mairie. Rien qu’à Saint-Augustin, il y a cinquante millions d’euros de travaux », précise-t-il. A titre indicatif, vingt millions d’euros ont été dépensés sur la tour nord de Saint-Sulpice. « La deuxième tour et le reste du bâtiment sont à restaurer, pour cinquante à soixante millions d’euros », juge M. Cumunel.
Il suffit de lever les yeux à Paris pour remarquer que les clochers, dômes et façades des grandes églises de la capitale sont défigurés par les filets de protection évitant la chute de pierres, les « parapluies » coiffant les toitures, parade disgracieuse aux infiltrations, ou encore par les étais soutenant les nefs. Et cela ne suffit pas toujours. Dimanche 29 mars, « à Saint-Louis en l’île, un morceau de la croix en bronze du clocher est tombé à la sortie de la messe, évitant de peu le curé », indique Maxime Cumunel. Les pompiers sont intervenus en urgence pour sécuriser la croix qui menaçait.
Sites d’attraction touristique
Ces édifices, pour la plupart bâtis par des architectes de renom – Jacques-Ange Gabriel, architecte de Louis XV pour la Madeleine, Victor Baltard, l’architecte des Halles pour Saint-Augustin – marquent le paysage urbain. Points d’orgue des grandes perspectives de la capitale, les églises ne sont plus seulement des lieux de culte mais des sites d’attraction touristique aussi. La basilique du Sacré-Cœur a reçu, en 2013, dix millions de visiteurs, surpassant la fréquentation du Musée du Louvre.
Les trois-quarts des églises sont protégées, classées ou inscrites au titre des monuments historiques, ou bénéficient du label XXe siècle, pour leur architecture et les œuvres d’art qu’elles recèlent. La vingtaine d’édifices prioritaires sont les plus importants en taille ou en âge de la capitale : La Madeleine, Saint-Augustin et Saint-Philippe du Roule, dans le VIIIe arrondissement, Notre-Dame de Lorette et la Trinité dans le IXe, Saint-Merry et Saint-Gervais, dans le IVe, Saint-Eustache dans le Ier, pour ne citer qu’eux.
« Quinze à vingt millions d’euros par édifice »
Que disent les architectes des monuments historiques, responsables des chantiers de restauration, de cette enveloppe budgétaire ? « C’est toujours bon à prendre, même si c’est bien en deçà des besoins », estime Jean-François Lagneau, en charge des travaux de Saint-Merry, Saint-Louis en l’île et Saint-Eustache, notamment. Ce qui se voit prime, le reste, les décors intérieurs, les pans de murs enchâssés dans des maisons… comme c’est le cas à Saint-Merry, est négligé, faute d’argent.
Son confrère, Étienne Poncelet (architecte en chef des monuments historiques (ACMH), lui aussi), qui opère sur les trois églises phares du VIIIe, est sur la même longueur d’ondes : « Réjouissons-nous, c’est la première chose ». Tout en reconnaissant qu’il faudrait « quinze à vingt millions d’euros par édifice pour les sortir de l’ornière » : ce qui ferait pour les vingt églises prioritaires 400 millions d’euros. L’architecte espère que ces « effets d’annonce de la mairie » permettront d’activer le mécénat. « Ce sont les monuments de tous, si l’appropriation fonctionne, on aura gagné, dit-il. Le clergé s’est mobilisé, les associations aussi, le tempo est donné par la ville. Les études et projets réalisés attendent dans les cartons le feu vert, les travaux peuvent démarrer tout de suite », affirme-t-il. Encore faut-il que l’argent soit débloqué rapidement et ne fonde pas dans la lourdeur administrative, comme le craint Jean-François Lagneau qui insiste sur l’état d’urgence.
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