La pétition demandant la démission du cardinal Philippe Barbarin a réactivé, ces derniers jours, l’affaire Preynat et les débats qui l’entourent, notamment concernant la procédure canonique contre ce prêtre, qui n’a toujours pas abouti.
De manière constante, l’Église de France fait valoir que la justice interne de l’Église ne peut se prononcer avant la fin des procédures judiciaires civiles.
La pétition demandant la démission du cardinal Philippe Barbarin, lancée mardi 21 août, et qui approchait jeudi 23 août après-midi les 60 000 signatures, a remis au cœur des débats l’affaire Preynat, et sa gestion par l’archevêque de Lyon. Se pose en particulier à nouveau la question, récurrente, de savoir comment s’articulent justice canonique et justice civile.
En effet, avec le père Pierre Vignon, prêtre canoniste du diocèse de Valence à l’origine de la pétition, certains s’interrogent sur le fait que le père Bernard Preynat n’ait toujours pas été sanctionné par l’Église. Beaucoup, et notamment les victimes de ce prêtre qui a reconnu avoir abusé sexuellement de plusieurs dizaines de jeunes garçons dans les années 1970 et 1980, attendent qu’il soit renvoyé de l’état clérical. Or l’Église, de son côté, fait valoir que la procédure canonique ne peut avancer tant que la procédure pénale ne sera pas achevée.
C’est cette position que l’Église met en avant, invariablement, ces dernières années. On pourrait pourtant penser que la justice civile et la justice interne de l’Église sont deux institutions parallèles.
« La justice canonique doit attendre que la justice civile se soit prononcée »
« De façon totalement abstraite, il pourrait être possible que les deux soient indépendantes, explique Emmanuel Tawil, avocat et maître de conférences à l’université Paris II Panthéon-Assas, spécialiste du droit canonique. Mais dans la réalité, il y a des règles qui ont été posées par la Conférence des évêques de France, et qui établissent que la justice canonique doit attendre que la justice pénale étatique se soit prononcée. Et il y a à cela une raison logique : si un juge canonique instruisait avant la justice étatique, il aurait alors connaissance d’éléments qu’il serait dans l’obligation de transmettre à la justice civile, et ce faisant, il trahirait son propre secret de l’instruction. » Le juriste souligne que ces dispositions figurent dans les Directives pour le traitement des cas d’abus sexuels, adoptées par les évêques de France lors de leurs assemblées plénières de 2012 et 2015 qui prévoient l’obligation de coopérer avec la justice étatique : « L’Église n’est pas une contre-société. »
Du côté de l’Église lyonnaise, on fait aujourd’hui valoir une raison légèrement différente. « Le fait est qu’après demande de conseils auprès de professionnels de la justice, il apparaît clairement que poursuivre l’enquête pour le procès canonique, constituerait une entrave, ou a minima, une interférence dans l’enquête civile », assure Mgr Emmanuel Gobilliard, évêque auxiliaire de Lyon. D’où la suspension de la procédure canonique visant le père Preynat. « Nous n’allions pas attendre d’être en infraction », ajoute Mgr Gobilliard.
« Il manque sans doute une meilleure communication »
Dans bien des affaires similaires, c’est encore un autre argument qui est mis en avant, concernant plutôt la présomption d’innocence : des sanctions canoniques prises avant un procès pénal désigneraient d’office la personne sanctionnée comme coupable, portant atteinte à la présomption d’innocence qui prévaut en droit français. Pour certains, cet argument, pas plus que les autres, n’est convaincant, notamment dans le cas de Bernard Preynat, pour expliquer l’absence de sanction.
« Bernard Preynat ayant reconnu les faits, l’archevêque aurait dû le suspendre a divinis immédiatement. ! », commente, véhémente, une canoniste, qui assure que « dans les tribunaux d’Église, on a “viré” des prêtres pour beaucoup moins que ça ».
D’une manière générale, la diversité des raisons invoquées ne facilite pas la compréhension. « Le dispositif adopté par la Conférence des évêques de France est un des meilleurs systèmes qui soient. Le problème, c’est que beaucoup de gens dans les diocèses ne connaissent pas leurs propres normes !, déplore un bon connaisseur du sujet. Il manque sans doute une meilleure communication, afin de pouvoir dire clairement combien de procédures sont en cours, combien de procès canoniques attendent la fin de la procédure civile, combien de demandes de levée de prescription ont été faites… »
La Croix