Deux mois après l’appel de Reporters sans frontières, faisant suite aux attentats du mois de janvier, une nouvelle « proclamation humaniste » publiée début avril par un collectif, réunissant notamment des historiens et des juristes, appelle les responsables religieux à signer un texte « énonçant clairement des valeurs humanistes et républicaines ». Ils leur demandent de reconnaître la « primauté de la loi civile démocratique ».
Pour Sébastien Fath, historien et chercheur au Groupe sociétés, religions, laïcités du CNRS, le fait de proclamer la loi comme un référentiel ultime pose question.
« Dans ce nouvel appel, il est demandé aux acteurs religieux de reconnaître la primauté de la loi civile, sans réaliser que la loi civile démocratique peut parfois dévier par rapport aux valeurs qui sous-tendent la République. Or, la loi n’est pas nécessairement bonne au regard des valeurs qui conditionnent le vivre-ensemble. Elle peut même parfois porter atteinte à des valeurs jugées supérieures. L’histoire est pleine d’exemples qui le prouvent. Ainsi, demander à l’ensemble des religions de reconnaître la primauté de la loi civile démocratique, c’est risquer d’abolir du même coup le contre-pouvoir qu’elles représentent. Avec ce dispositif, la République se prive d’une forme de lanceur d’alertes, et oublie qu’au-dessus de la loi dominent toujours des valeurs.
Le fait de proclamer la loi comme un référentiel ultime pose question. Dans ce cas, que deviennent l’objection et la clause de conscience ? Si toutes les religions sont sommées de souscrire à la primauté de la loi, cela signifie-t-il que toute loi est par nature incontestable ? Dire cela est non seulement un mauvais coup pour les religions, mais aussi pour la République elle-même. En cas de dérive du système, par exemple lors de l’arrivée au pouvoir d’un parti extrémiste, et de promulgation d’un certain nombre de lois heurtant les valeurs républicaines, par exemple sur la bioéthique ou l’accueil des migrants, les religions ne pourraient donc plus jouer le rôle de garde-fou… Avec ce type de raisonnement, la République se priverait donc d’alliés en cas de dérive du pouvoir.
Il faut donc laisser aux religions la possibilité de ne pas cautionner systématiquement toutes les lois, car ces dernières ne sont pas nécessairement en accord total avec les valeurs de la République. En disant cela, je n’appelle pas à l’incivilité, mais je dis qu’il est important que la République reconnaisse aux religions la possibilité de jouir de leur propre espace. De fait, l’objet de la religion est différent de l’objet du politique. La politique n’est pas tout, et à ce titre, elle n’a pas à englober tout le reste. »
La Croix