Notre époque est celle d’un capitalisme qui a gangréné les esprits, sous couvert de fausse éthique, où tout est dorénavant catalogué « halal ». Une majorité de musulmans a été happée par l’esprit matérialiste, où elle ne sait plus rien d’elle-même. Le poids d’une jurisprudence musulmane qui s’impose, au milieu d’un océan d’ignorance, à une démarche dichotomique bricoleuse entre halal (permis) et haram (interdit) et qui a notamment phagocyté l’épanouissement spirituel du croyant en l’éloignant de Dieu tout en se rapprochant du Diable. A l’ombre de la vague fondamentaliste, une nouvelle religiosité est en train de naître où le désengagement vis-à-vis du politique laisse place à un nouveau sacre de l’individu et à une reconfiguration dans l’espace culturel, celui du musulman identitaire réuni autour du marché.
Dans un contexte de globalisation et de réislamisation simultanées, le voile oblige les femmes à de nouveaux compromis, entre revendications identitaires et extraversion culturelle. L’acculturation se nourrit ainsi de ce symbole identitaire où la pudeur islamique coïncide avec une offre marchande de masse qui suit les courants de la mode internationale. Patrick Haenni à propos de l’islam de marché, rappelle que nous sommes là dans une simple logique consumériste où le message religieux passe souvent au second plan car plus ce dernier est mis en avant, plus le public se réduit. D’un côté, dans la réalité, les femmes voilées revendiquent la pudeur et exigent même parfois une séparation des corps dans certains espaces publics comme les piscines, et de l’autre, dans l’espace virtuel, elles s’autorisent parfois toutes les extraversions où la pudeur tant chérie est loin d’être la norme. Nous observons cette déviance sur la Toile et même au quotidien chez des voilées campées dans une posture schizophrénique où la pudeur et la vulgarité cohabitent sans vergogne, des femmes hantées par l’égotisme de notre époque. Une démarche qualifiée d’un côté par les plus traditionnalistes, de dépravation des mœurs ou de prostitution au service de l’argent, et de l’autre par les progressistes, de nécessité d’user d’une communication puissante au service aussi des musulmans. Le cas de TikTok, puissant réseau social chinois est emblématique concernant cette publication de soi, un média très prisé par les jeunes musulmans comme les moins jeunes. Un média de masse originaire d’une Chine qui persécute pourtant des millions de Ouïghours musulmans sur son territoire, sans susciter le moindre rejet ou boycott de la part de ses millions de « scrollers » musulmans. Un réseau social visiblement très lucratif qui passe avant l’éthique de ses utilisateurs, lesquels se voient récompensés financièrement grâce au nombre de vues, des usagers parmi lesquels se trouvent pêle-mêle des prédicateurs, des imams, des influenceuses ou le musulman du quotidien, au sein d’un vaste monde où l’enthousiasme du public à travers les « likes » nourrit l’égo. Car la plupart des acteurs sur Internet, dont de nombreuses femmes voilées, s’inscrivent dans une logique d’islam de marché en développant une religiosité entrepreneuriale où l’extension de leur offre passe par la conquête de nouveaux produits et services. Un islam qui apparaît ainsi conforme aux valeurs de la modernité libérale, et a rendu possible à des musulmans de devenir libéraux sans se sentir en contradiction avec leur religion. Amr Khaled, un prédicateur égyptien très populaire dans le monde arabe a ouvert la voie de cet islam de marché décomplexé où la foi selon lui, doit être au service de l’économie sur le modèle des télévangélistes américains. Elles sont de plus en plus de femmes voilées, des identités vulnérables sur le marché du travail en France, parfois même des mamans solos autoproclamées « moms entrepreneures » en situation de précarité, à se lancer dans l’entreprenariat dans des secteurs variés et plus seulement dans la cuisine, s’appuyant sur les réseaux sociaux comme rampe de lancement afin de s’assurer une autonomie financière.Des actrices habituées à YouTube qui se diversifient sur d’autres plateformes plus virales comme TikTok et Instagram pour amplifier leur notoriété.
Le musulman au même titre que toutes les communautés sur les réseaux sociaux se présente comme le résultat d’actions individuelles qui, à la base, n’est pas ou peu guidées par un sentiment collectif, là où l’islam à l’inverse promeut et consacre les valeurs collectives. Max Weber affirme que « ce sont les intérêts (matériels et idéels) et non les idées qui gouvernent l’action des hommes ». L’échec consécutif de l’autorité de la famille, de la mosquée, de l’extension de la sécularisation, a rendu possible l’émergence d’un musulman affairiste dans un contexte de mondialisation. Un néomusulman que le marché a finalement consacré là où les discours islamistes ont échoué sur fond de nécro islamisme. Un consommateur musulman désormais nomade qui s’insère dans la mondialisation ; et ce ne sont pas les migrations ou re migrations en progression chez les musulmans de France qui nous contrediront.