Une jeune femme musulmane attaquait mercredi 27 novembre, devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), la loi sur le voile intégral de 2010.
Dénonçant sa requête sur la forme, la représentante de la France l’a aussi contestée sur le fond, plaidant pour la dignité des femmes et la préservation du vivre-ensemble.
Mercredi matin 27 septembre, sur le parvis de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), des groupes de juristes en costume gris commentaient déjà dans toutes les langues l’audience à venir. Remplissant les sièges de la Grande chambre, ils étaient venus écouter la France défendre sa loi d’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public et, donc, le port du voile intégral.
C’est la première fois que la Cour doit statuer sur une telle prohibition, en vigueur seulement en France et en Belgique, mais à laquelle d’autres pays européens réfléchissent.
Casques de traduction sur les oreilles, tous ont donc écouté, dans un silence concentré, la demi-heure de plaidoirie de la France. Sur la forme, sa représentante a d’abord plaidé l’irrecevabilité de la requête. Edwige Belliard a mis en cause, à la fois le statut de victime de la femme de 23 ans, qui a introduit sa requête le jour de l’entrée en vigueur de la loi en 2011, et la démarche de ses avocats britanniques, qui ont déjà déposé trois requêtes similaires auprès de la Cour, toutes rejetées.
« Le voile intégral indifférencie les femmes, nie leur dignité, leur identité »
Sur le fond, Edwige Belliard a avancé quatre arguments pour défendre cette loi, « résultat d’un long débat démocratique » : l’interdiction de dissimuler son visage constitue un impératif d’ordre public, une « exigence minimale » de la vie en société, de la lutte contre l’inégalité hommes-femmes et pour la dignité de ces dernières.
« L’espace public est un lieu de vie en société où une personne doit pouvoir entrer en relation avec une autre, a-t-elle estimé. Le voile intégral indifférencie les femmes, nie leur dignité, leur identité, les efface de l’espace public. Certaines pourront d’ailleurs s’appuyer sur la loi pour échapper à cette contrainte imposée, le plus souvent, par les hommes de la famille. »
Prenant l’exact contre-pied de cet argumentaire, les avocats de la requérante, qui plaidaient en son absence, ont dénoncé un « État oppressif » qui nie les libertés fondamentales de ses citoyens. « Quand elle souhaite porter le voile, cette jeune femme se retrouve prisonnière dans sa propre République, a attaqué l’avocat. Elle est soumise à une loi stigmatisante, humiliante, qui donne le sentiment que les femmes voilées sont de mauvaises patriotes. »
« Est-ce à l’État d’examiner la validité des croyances ? »
Selon lui, le choix fait par la jeune femme ne lui a pas été imposé par ses proches. Son interdiction par l’État constitue en revanche une atteinte à sa vie privée – « son visage lui appartient » – et à la liberté de religion : « Est-ce à l’État d’examiner la validité des croyances ? Les femmes voilées sont déjà minoritaires (2 000 environ), les voilà désormais ostracisées, dans une société qui, sous prétexte du vivre ensemble, avive les tensions et crée de l’hostilité. »
Après les plaidoiries, un juge a aussi posé une question à la France sur les tensions survenues lors des contrôles de ces femmes. Plusieurs procédures pour violences sont en cours en France. « Sur les 1 050 contrôles qui ont eu lieu depuis 2011, seuls quelques-unes ont provoqué des incidents », a rectifié Edwige Belliard.
Spécialiste de la laïcité et des religions à l’Institut de droit européen des droits de l’homme, Gérard Gonzalez doute que la France soit condamnée. « Sans être hermétique aux manifestations de la religion, la jurisprudence de la Cour est plutôt favorable aux États qui, au nom de la laïcité et du vivre ensemble, fixent des restrictions limitées à la liberté de religion. » La décision des dix-sept juges n’est pas attendue avant plusieurs mois.
Source : La Croix