Un an après le début des manifestations contre le « mariage pour tous », les évêques, qui, pour quelques-uns, participaient à la manifestation de dimanche 2 février, assument pleinement leur opposition au texte.Ils restent partagés sur la manière de se faire entendre publiquement.
Un an après, les évêques le reconnaissent : leurs prises de position et, pour certains, leur engagement dans la « manif pour tous » continuent de susciter un malaise dans leurs communautés. Rares sont ceux qui n’ont pas reçu de courriers de personnes, souvent homosexuelles ou proches d’elles, exprimant leur « souffrance » ou leur « sentiment d’exclusion », ou, à l’inverse, de fidèles leur reprochant de ne pas avoir pris la tête des cortèges.
Les nombreuses réactions reçues par La Croix après les contributions divergentes du cardinal Philippe Barbarin et de Mgr Hippolyte Simon en sont encore un exemple. Ces courriers les ont parfois touchés et amenés à réfléchir. « Je pensais que l’argumentation de l’Église catholique, qui distingue bien les personnes homosexuelles de leurs comportements, était claire. Sans doute ai-je pu dire les choses d’une manière trop rapide », reconnaît Mgr Jacques Benoit-Gonnin, évêque de Beauvais, qui indique « avoir évolué sur la forme ».
L’accueil des personnes homosexuelles dans l’Église reste un chantier à part entière, aux yeux de Mgr Jean-Charles Descubes, archevêque de Rouen : « Pour restaurer la communion, on pourrait déjà commencer par des rencontres entre personnes homosexuelles et tenants de “La manif pour tous”. »
critiques sur la forme
Sur le fond, tous se sont accordés sur une même ligne, rappelée en Assemblée plénière à Lourdes : le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, et il faut défendre cette institution, sans exclure les personnes homosexuelles. Une ligne qui, soulignent-ils, rejoint le sentiment majoritaire dans leurs diocèses, même si, rappellent certains, « le consensus ne signifie pas l’unanimité »…
Mais aucun ne regrette d’avoir fait valoir ses arguments contre un projet de loi qui « allait à l’encontre des fondements anthropologiques chrétiens ». « La famille est un lieu très sensible. Les mots ne sont jamais suffisants, les slogans jamais parfaits. Ce qui ne doit pas nous empêcher de dire la beauté de nos convictions », résume Mgr Éric de Moulins-Beaufort, évêque auxiliaire de Paris.
Globalement, les critiques adressées aux évêques portent moins sur le fond que sur la forme. « Fallait-il réagir avec autant de passion et de vigueur ? », voilà la principale divergence pour Mgr Jean-Luc Brunin, évêque du Havre et président du conseil Famille et Société de la Conférence épiscopale, à qui des fidèles, « lassés des manifestations », ont dit leur souhait que l’Église se mobilise avec la même force « sur les questions de pauvreté, d’écologie »…
condamner les « excès » de la mobilisation
« Je suis contre la loi Taubira, mais l’excès des manifestations qui se déployaient sans aborder le fond des choses a conduit, à mon avis, à survaloriser l’extraordinaire au détriment de l’engagement ordinaire du chrétien, déplore Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême (1). Un certain nombre de catholiques, y compris au sein de la pastorale familiale, n’ont vécu qu’à travers le prisme de ce débat pendant un an, conduisant certaines personnes à se sentir alors exclues de l’Église. »
N’est-ce pas sur ce point qu’aurait pu porter le fameux « débat au sein de l’Église » que certains appelaient de leurs vœux ? « Il n’est pas faux de dire qu’il n’a pas eu lieu, sauf sur les blogs et dans les courriers de lecteurs », reconnaît Mgr François Fonlupt, évêque de Rodez, qui rappelle surtout, comme ses confrères, que « la société en général » en a été privée.
Si cette mobilisation a laissé l’impression, de l’extérieur, d’un positionnement monolithique de l’Église catholique, des divergences se sont en réalité manifestées au sein même de l’épiscopat. Certains s’en sont tenus à argumenter sur le fond dans l’éditorial de leur journal diocésain, quand d’autres se joignaient aux cortèges.
appels à un dialogue « institutionnalisé »
Plusieurs, comme Mgr Brunin, s’appuient sur la formule de Benoît XVI dans l’encyclique Caritas in veritate – « L’Église n’a pas à prendre en main le combat politique » – pour justifier leur refus d’engager leur diocèse. D’autres, comme Mgr Dominique Rey, à Toulon, affirment être restés dans leur rôle en « exprimant au gouvernement (leur) opinion ». « L’évêque doit prendre sa part de responsabilité et en même temps ne pas entrer sur un terrain politicien qui lui ferait perdre sa liberté », souligne-t-il.
Au fond, tous sont conscients que ce débat illustre le problème redoutable auquel doit se confronter l’Église : « se situer, dans notre société, comme le groupe religieux le plus important, mais parmi d’autres », résume Mgr Descubes. « Pour nous chrétiens, le droit obéit à la morale. Mais pour le reste de la société, il obéit à la loi du nombre. Comment vivre avec cette contradiction ? », s’interroge Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont.
La crainte, exprimée par Mgr Fonlupt, d’une Église placée, malgré elle, « dans une position frontale, défensive », s’est hélas réalisée, déplore-t-il. Or, pour l’évêque de Rodez, les chrétiens ne sont « ni à côté ni en face » de la société. Ils doivent, au contraire, précise Mgr Dagens, « travailler à inscrire la foi chrétienne dans le tissu tellement déchiré de notre société, car leur voix est attendue ».
D’où l’appel incessant des évêques à un dialogue constructif avec les pouvoirs publics lors de tels choix de société. « Sans cela, la société va éclater », avance Mgr Descubes, qui plaide pour un dialogue « institutionnalisé » avec les religions, comme il existe en Allemagne.
La Croix