Bernard Dupuy (1925-2014), prêtre dominicain, artisan du dialogue entre l’Eglise et le judaïsme

« La communauté juive de France a perdu un ami » : à ses obsèques, le 6 octobre à Paris, Richard Prasquier, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), rendait ainsi hommage à un grand homme d’Église qui fut, depuis le concile Vatican II (1962-1965), l’un des pionniers de la réconciliation entre l’Église catholique et les plus hautes instances du judaïsme. Savant connaisseur des traditions juive et chrétienne, il avait une perception très vive de ce qui constitue le destin original et souffrant du « peuple juif ».

 

Le père Bernard Dupuy en 2004, interviewé sur RTS. Né le 21 août 1925 à Paris, Bernard Dupuy, après des études à Polytechnique, entre en 1948, à 23 ans, dans l’ordre de Saint-Dominique. Formé par les instituts dominicains du Saulchoir (Essonne) et de Fribourg (Suisse), ordonné prêtre en 1955, il participe comme expert des évêques de France au concile Vatican II. Il est alors le témoin ébloui d’une révolution dans l’Église qui met fin à deux mille ans d’anti-judaïsme chrétien, à une histoire d’ignorance et de persécution d’un peuple dont était pourtant issu le Christ. Le concile ordonne la fin des stéréotypes chrétiens stigmatisant les juifs (« peuple déicide ») et condamne fermement l’antisémitisme.

UN DÉPASSEMENT DÉFINITIF

Bernard Dupuy va consacrer toute sa vie à cet « enseignement de l’estime » des juifs, succédant à « l’enseignement du mépris » que l’historien français Jules Isaac était allé dénoncer jusqu’à Rome, en 1961, devant le pape Jean XXIII. Convaincu que les juifs et les chrétiens font partie de la même histoire, il démontre que les temps sont mûrs pour un dépassement définitif du contentieux historique et théologique. A Paris comme au Vatican, cet homme exigeant, reconnu par les interlocuteurs des deux camps, démine les tensions, renoue les fils d’une histoire rompue, souligne avec constance l’enracinement juif de la foi chrétienne.

Il crée en 1969, avec Mgr Elchinger, évêque de Strasbourg, le Comité épiscopal français pour les relations avec le judaïsme, qu’il présidera jusqu’en 1987. Il est l’un des auteurs des « orientations pastorales» de 1973 qui reconnaissent la « vocation permanente » du judaïsme et «le don d’une terre fait jadis par Dieu au peuple d’Israël». Les chrétiens sont exhortés à « accepter le mouvement de retour du peuple juif » en Israël. Ce qui fait scandale dans les milieux chrétiens défendant la cause palestinienne. Il faudra attendre vingt ans pour que le Vatican reconnaisse l’État d’Israël en 1993. En 2000, Jean-Paul II se rendra à Jérusalem.

INTERLOCUTEUR DE LEVINAS

Bernard Dupuy a une faculté extraordinaire pour aborder les sujets d’exégèse juive aussi bien que chrétienne et les points d’histoire liés à la fracture originelle entre judaïsme et christianisme. Il est l’interlocuteur du philosophe juif Emmanuel Levinas (1906-1995), du rabbin orthodoxe Josy Eisenberg (à l’émission juive du dimanche matin), autant que de Colette Kessler, haute figure du judaïsme libéral.

Dans les épreuves, il se place aussi du côté des juifs, milite pour la libération des refuzniks d’URSS dans les années 1970 et publie nombre d’études sur « l’indicible » de la shoah. C’est lui qui, discrètement, mais fort de la complicité du cardinal Jean-Marie Lustiger, archevêque de Paris, converti du judaïsme, parvient à apaiser les longues polémiques qui jalonnent le parcours entre catholiques et juifs : l’installation d’un carmel polonais dans les limites du camp d’Auschwitz (1986-1993), la béatification par Jean-Paul II (1987) de la philosophe Edith Stein, convertie du judaïsme et exterminée à Auschwitz, le projet (qui sera stoppé) de béatifier Isabelle la Catholique de sinistre mémoire.

SON ŒUVRE COURONNÉE

En 1998, Bernard Dupuy voit son œuvre couronnée. Il reçoit le prix de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France (ACJF), conjointement avec l’ancien grand rabbin de France René-Samuel Sirat, lors du 50ème anniversaire de cette association, dont il partagea tous les combats. En 2008, il publie chez Parole et silence un volume Quarante ans d’études sur Israël, qui réunit une partie de ses écrits et dans lequel figure sa remarquable traduction d’Emil Fackenheim, théologien juif de l’holocauste (La présence de Dieu dans l’histoire. Affirmations juives et réflexions philosophiques après Auschwitz).

Jusqu’à la maladie, il travailla en étroite relation avec ses deux successeurs à la tête du Comité des évêques pour les relations avec le judaïsme, Jean Dujardin et Patrick Desbois, ce dernier étant internationalement reconnu pour avoir initié le travail de mémoire de la « shoah par balles » en Ukraine et Biélorussie.

Enfin, Bernard Dupuy était habité par la conviction que le retour sur les origines bibliques et chrétiennes favoriserait non seulement la reconnaissance d’un peuple juif autrefois haï, mais aussi la réunification des Églises séparées depuis des siècles. Spécialiste mondialement reconnu de l’orthodoxie chrétienne, directeur de la revue Istina, Bernard Dupuy fut donc aussi, à Paris et au Vatican, un ardent promoteur de la cause « œcuménique ».

 

Le Monde.fr

F. Achouri

Sociologue.

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