Le pape François doit regagner lundi 13 juillet 2015 le Vatican après huit jours en Équateur, en Bolivie et au Paraguay. Son discours, jeudi 9 juillet en Bolivie, pour « un changement réel » du système économique aura été le plus marquant du voyage.
On le surnomme déjà « la petite encyclique ». Le puissant discours qu’a prononcé le pape François jeudi 9 juillet à Santa Cruz (Bolivie), devant des mouvements populaires, a été la plus retentissante des vingt-deux allocutions de ce voyage en Amérique latine qui s’achève lundi 13 juillet.
Il y appelle à « un changement réel » du système économique mondial et de « ses structures » : un changement qui est, selon lui, une aspiration planétaire.
Pour le pape, la « globalisation de l’espérance » doit répondre à celle « de l’exclusion et de l’indifférence ». Et ainsi, s’opposer à ce « modèle économique idolâtre qui a besoin de sacrifier des vies humaines sur l’autel de l’argent et de la rentabilité », a-t-il dénoncé cette fois samedi 11 juillet, à Asuncion, devant la société civile paraguayenne.
Dénonciation de la « mondialisation de l’indifférence »
La dureté du propos n’est pas nouvelle dans la bouche de Jorge Bergoglio, qui depuis le début de son pontificat dénonce la « mondialisation de l’indifférence ». Son exhortation Evangelii gaudium, en novembre 2013, fustigeait déjà « l’économie (qui) tue », rejetant la présomption selon laquelle les seuls mécanismes du marché suffiraient à ce que la prospérité finisse par bénéficier à ceux qui en sont les plus éloignés.
Plus récemment, son encyclique Laudato si’ a dressé un tableau accablant d’une économie mondiale qui repose sur le consumérisme effréné d’une minorité, au détriment du reste de la population et de la planète.
Dans son discours de Santa Cruz, il va plus loin en énonçant que « ce système porte atteinte au projet de Jésus ». Il prévient aussi que « la lâcheté dans la défense (de la planète) est un grave péché ». Et il présente la juste distribution comme « un commandement ».
Sur le continent le plus catholique mais aussi le plus inégalitaire du monde, ce vocabulaire est destiné à sensibiliser davantage les chrétiens à ces questions, d’inviter les consciences à un examen et de toucher les cœurs pour libérer la compassion, force nécessaire au changement qu’il souhaite entraîner.
« Les pauvres n’attendent plus et veulent être acteurs »
Car la raison seule ne suffit pas. L’adresse du pape aux mouvements populaires boliviens ne comprend d’ailleurs aucun chiffre, nulle savante démonstration. Marqué par la crise argentine de 2001 et familier d’expériences d’économie alternative à Buenos Aires, Jorge Bergoglio ne se place pas pour autant en militant anticapitaliste, ni en économiste.
Il ne formule pas non plus un programme : « N’attendez pas de ce pape une recette », rappelle-t-il. Inspiré à la fois de la doctrine sociale de l’Église et par la théologie de la libération, il demande surtout que les solutions montent de la base, associent les exclus.
« Les pauvres n’attendent plus et veulent être acteurs ; ils s’organisent, étudient, travaillent, exigent et surtout pratiquent la solidarité », observait-il dans un premier grand discours du genre, le 28 octobre dernier au Vatican, et auquel celui de Santa Cruz fait écho.
Dans les deux cas, le pape François s’adressait directement à ces innombrables « mouvements populaires », porte-voix des exclus. « Il s’agit d’organisations de petits agriculteurs et pêcheurs, métayers, journaliers, travailleurs agricoles saisonniers, paysans sans terre (…), recycleurs, vendeurs ambulants, artisans de rue… », énuméraient, dans la revue jésuite Études, deux participants à la rencontre romaine d’octobre.
Moins de la moitié d’entre eux se déclarent catholiques. Pour l’essentiel latino-américains, ces sans-grade de la mondialisation bénéficient du soutien d’Evo Morales, le président bolivien, présent au Vatican comme évidemment à Santa Cruz.
Les trois T : toit, travail et terre
Par ces rencontres, co-organisées avec le Conseil pontifical Justice et Paix, ils prennent aussi conscience de la force potentielle qu’ils représentent. « Ne vous sous-estimez pas ! », leur a demandé avec force le pape François.
Ce faisant, le pape les érige en interlocuteurs de l’Église catholique. « En essayant de comprendre les raisons de l’autre, son expérience, ses désirs ardents, nous pourrons voir qu’en grande partie ce sont des aspirations communes », a-t-il espéré à Asuncion, deux jours plus tard.
Pour le P. Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite italienne La Civilta Cattolica, aucun doute : le pape connaît ces mouvements « et leurs ambiguïtés ». Mais « il cherche à aspirer l’énergie positive de ces mouvements, même les plus extrêmes, et en retour à les inspirer pour prendre part au processus de changement », fait-il valoir.
Un processus qui ne pourra être mené que dans la durée… Aux « trois T » – toit, travail, terre – revendiqués par les mouvements populaires et qu’il soutient, il a ajouté comme un quatrième T, le temps : celui qui donne « la passion de semer, d’arroser sereinement ce que d’autres verront fleurir », sans réclamer « des résultats immédiats ».
« Vous êtes des semeurs de changement », a-t-il lancé. En somme, si « la foi est révolutionnaire », reprenant une expression qu’il employait déjà dans les années 1970, Jorge Bergoglio ne promet pas le Grand Soir.
La Croix