La grande parodie du « Conseil national des imams ».

 

Imam, Musulman, Islam, Religion, RamzanDans un article précédent nous mentionnions le principe, qu’en France, la communauté musulmane « oumma » en tant que bloc unitaire n’existe pas, mais qu’il était approprié  de parler de musulmans de France. Cette dernière, avec environ six millions de fidèles, est en effet traversée par des modes de pratiques et de croyances subjectives très hétérogènes. En l’absence d’un clergé musulman, la dissolution du croire a entraîné un double processus de personnalisation de la pratique et d’une privatisation de la foi. Sur le volet social, une grande partie des musulmans souvent issue des classes défavorisées, est confrontée aux échecs successifs de politiques de développement et du déficit de justice sociale qui règnent depuis plus de cinquante ans. Le déni de l’égalité dans la réalité alors qu’elle s’exhibe dans les discours politiques, trouve dans la revendication religieuse une reconnaissance, une justice sur le plan de l’être. Au terme de quatre générations, l’identité altérée, celle de ne pas être reconnue en tant que citoyen français, opère en grande partie, la reformulation d’une identité supérieure. C’est ainsi que la désintégration économique et sociale a fracturé le pacte républicain et a engendré une méta-identité : le musulman. Une majorité des citoyens de confession musulmane se considère musulman avant d’être Français, là où leurs parents ou grands-parents, n’ont pas subi cette dualité identitaire, en raison notamment d’une islamité qui était vécue davantage en tant qu’objet que sujet.

Depuis les années 2000, les citoyens musulmans au même titre que l’ensemble des Français, sont confrontés à des changements structurels fulgurants qui les plongent dans un lendemain d’incertitude. Ces derniers mois, la crise anxiogène du Covid a aggravé cet état de tensions permanent, nous dirions même que ça sent le soufre un peu partout. L’islam, plus qu’une religion, est un mode de vie, qui valorise notamment les liens sociaux, la justice et la solidarité, là où l‘Occident, prône des valeurs tels que l’individualisme et le matérialisme, dans lesquelles le musulman se sent tiraillé entre rationalité moderne et tradition.Face aux doutes de l’existence et face au néolibéralisme, l’individu trouve dans l’islam un refuge au sein de valeurs et de symboles issus d’une tradition ancienne. Comment trouver sa place dans un monde en crise où l’individu ne se projette pas ou plus ? Quels guides espère le croyant afin de mieux surmonter les difficultés du quotidien ?

Le désenchantement idéologique a entraîné une approche plus individualisée de la foi et des questions religieuses, en particulier envers ceux qui sont censés parler au nom des musulmans. Le problème de la confiance personnelle accordée à la représentativité musulmane s’est du même coup aiguisé, aggravé dans un contexte où l’islam sunnite, majoritaire en France, n’a pas de clergé. L’affaire Ramadan fin 2017, est emblématique de l’atomisation des musulmans plus que jamais rétifs à l’égard de leaders ou de représentants de l’islam. La centralité des scandales, et par conséquent, des politiques de dénonciation s’en est trouvée accrue. La valeur morale des leaders musulmans est devenue une variable clef de la production de la confiance. Il suffit à cet égard, de relever le phénomène de suivi et d’évaluation, véritables critères de confiance et de fidélisation attribués aux prédicateurs sur Internet ou dans la vie, à travers notamment les commentaires laissés sur les réseaux sociaux ou au sein de la mosquée envers l’imam lors des prêches du vendredi.

Dans un climat général d’affaissement de l’autorité, il apparaît d’autant plus difficile pour l’État de structurer l’islam de France au travers d’une nouvelle organisation « Le conseil national des imams », dont les velléités sont de structurer le culte musulman selon les exigences de la République, sous l’égide du ministère de l’Intérieur et de représentants musulmans réceptifs aux impératifs républicains. Ces derniers dont les « effets d’autorité » pour reprendre l’expression de Pierre Bourdieu auprès des fidèles sont nuls, sont accusés de ne représenter qu’eux-mêmes et d’être soumis à la République. De plus, la prétention à représenter l’islam, chacun dans le style du système ou des États qu’il représente (Maghreb,Turquie), est une des causes majeures de la paralysie des organisations islamiques en France dont leur anonymat auprès des musulmans est un symptôme. Il suffit à cet égard de demander à un fidèle lambda s’il connait Ahmet Ogras (président du CFCM), Tareq Oubrou (imam de Bordeaux) ou encore Ghaleb Bencheikh (président de la Fondation de l’islam de France), dans la majorité des cas, la réponse est négative. A l’inverse, les prédicateurs 2.0 à l’instar de R. Eljay, Ayman TR ou A. Boussena ou encore, pour les moins jeunes, T. Ramadan ou H. Iquioussen, pour ne citer qu’eux, sont considérés pour les uns comme des guides, pour les autres comme des « gourous ». Rien d’étonnant à tout cela. Dans un espace de vide, Internet est devenu le support central de la circulation de l’information religieuse, de l’interaction, de l’opinion publique et, plus grave, la Toile a précipité la dissolution des représentants de l’islam de France. Sur ce point, nous vous renvoyons à notre ouvrage Islam 2.0 où nous traitions du succès des prédicateurs 2.0 grâce à la plateforme Youtube et des réseaux sociaux.

Jamais autant d’organes indépendants de représentation de l’islam de France, réels ou virtuels, ne se sont autant concurrencés sur le terrain du leadership, créant des sous-groupes ou pour reprendre une formule en vogue, des séparatismes intracommunautaires . Ces nouveaux conquérants pour certains ou « prédateurs » pour d’autres, usent d’abord d’une stratégie pernicieuse de dénonciation des faiblesses de structures existantes, afin de se positionner en tant que nouvel acteur majeur. Depuis le vide symbolique laissé dans les médias par un Tariq Ramadan, très populaire auprès des musulmans, la bataille pour un nouveau leadership a auguré de nombreuses ambitions. Pour qu’une idéologie soit diffusée au plus grand nombre, il faut savoir user de l’outil puissant de communication qu’est Internet avec la force de frappe des réseaux sociaux, et les prédicateurs 2.0 l’ont bien compris. Ces derniers monopolisent l’hétéronomie et enseignent au musulman comment il doit se comporter, ce qu’il doit faire et ce qu’il lui est permis d’espérer à travers une dichotomie entre halal (licite) et haram (illicite), bien loin de guider les musulmans comme ils le prétendent.

Loin de l’ambition de la création d’un « Conseil national des imams », il faudrait impliquer en premier lieu, les acteurs de terrain à l’échelle locale. L’organisation du culte musulman sur le volet pratique devrait revenir à des individus animés avant tout par une vision éthique et humaniste au service de la collectivité conformément aux valeurs islamiques, et non, motivés par une démarche égotique et libérale. Combien de fonds récoltés pour la construction de mosquée ou de dons des fidèles lors de fêtes religieuses sont gérés en toute opacité ? La viande halal proposée aux musulmans l’est-elle vraiment ?… L’enjeu majeur pour les musulmans de France est de désigner des acteurs qui serviront l’intérêt des fidèles et non d’utiliser ces derniers, comme c’est souvent le cas, afin d’assoir des ambitions personnelles. Ce schéma est aussi au coeur de la méfiance de la communauté musulmane à l’égard de tout organe de représentation de l’islam de France et in fine de sa politisation. Le financement de l’ensemble de ces projets dans le cadre juridique conforme à la Loi de 1905, ne devrait pas faire l’économie de comité éthique afin de s’assurer de la bonne gestion des fonds tout en se débarrassant des financements extérieurs. Par ailleurs, il n’appartient pas à l’État, en vertu de la Loi de 1905, de s’immiscer dans les questions d’organisation du culte musulman, pour vider de sa substance la liberté religieuse des fidèles. La laïcité érigée en véritable dogme, est devenue un outil de sécularisation, c’est-à-dire de toute non-intervention de la religion dans les actes de la vie publique, quels qu’ils soient. La « Loi confortant le respect des principes de la République » votée en août dernier, s’attaque de manière répressive et discriminante à l’orthodoxie musulmane jugée incompatible avec les valeurs de la République, et dont le « Conseil national des imams » est un des effets délétères. La sécularisation est véhiculée comme un véritable athéisme social, dernière conséquence du libéralisme.

Le CFCM créé en mai 2003 par N. Sarkozy, organe central censé représenter l’islam de France, peine toujours à se faire entendre et voit depuis sa création toujours les mêmes responsables se succéder, avec son lot de promoteurs affiliés à des États étrangers (Algérie, Maroc, Turquie, Mali…). Il n’existe pas au sein de l’islam sunnite de clergé, ce qui crée un rapport horizontal entre les croyants et rend difficile l’acceptation, même symbolique, d’une quelconque représentativité religieuse. Dans ce cas, nous comprenons le tâtonnement et surtout l’incapacité des autorités politiques depuis des décennies, à trouver les représentants d’une communauté musulmane qui, en tant que telle, n’existe pas. Et, ce n’est pas l’État, avec le « Conseil national des imams » créé à l’instar de la « Conférence des évêques de France » ou du « Grand-rabbinat de France » qui ambitionnerait de structurer ou même d’homogénéiser la représentation du culte musulman sur le principe de l’unité, qui inversera la tendance actuelle des dissensions. Le prophète Mohammed en son temps, avait prévenu sur la division de la « oumma » après sa mort, l’histoire lui donne hélas raison depuis plus de quatorze siècles.

 

Fatima Achouri

F. Achouri

Sociologue.

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