Le Marais juif immortalisé par un photographe brésilien

L’exposition « Rue des Rosiers », présentée au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme (MAHJ), donne à voir des photographies du journaliste brésilien Alécio de Andrade, prises dans les années 1970 dans le quartier du Marais à Paris. Des instantanés qui offrent un regard rare et authentique sur le quotidien des juifs de France.

En 1974 et 1975, le quartier juif du Marais à Paris est transformé par l’arrivée récente de juifs d’Afrique du Nord (séfarades), chassés des pays maghrébins à la suite de leurs indépendances politiques. Né au Brésil en 1938, un journaliste brésilien, Alécio de Andrade, s’installe à Paris en 1964, sans doute en raison de la répression politique que vit du Brésil sous la dictature.

L’œuvre d’un brésilien francophile

Correspondant de l’hebdomadaire satirique brésilien Machete, il collabore également comme photographe avec l’agence Magnum. Alécio assiste, à cette époque, au bouleversement de la vie d’un quartier populaire et pauvre du Marais, dans lequel il finira par s’installer lui même, en 1982, au 19, rue des Rosiers. Disparu en 2003, il laisse des clichés en noir et blanc qui n’avaient jamais été présentés au public à ce jour. Sa veuve en a fait don au musée situé également dans le quartier.

Surnommé autrefois par ses habitants le Pletz – la « petite place », en yiddish – ce quartier est, depuis la fin du XIXe siècle, le quartier traditionnel des juifs d’Europe centrale et orientale (ashkénazes). Amoureux de ce lieu atypique parisien, Alécio de Andrade capture des instants de vie d’une nouvelle population juive récemment arrivée en plein cœur de ce quartier très vivant : les achats dans des épiceries du Marais mentionnant « strictement cacher », les mariages traditionnels place des Vosges, les enfants étudiant à la synagogue des Tournelles, ou encore des lieux de fêtes, comme les restaurants. Au fil des photographies, les noms de rue guident le visiteur dans l’histoire ancienne de ce quartier : rue des Rosiers et ses boucheries aux inscriptions yiddish, la boutique du tailleur Perez rue Ferdinand Duval, un détour vers la rue des Écouffes avec le restaurant antillais « L’Improviste » de Francis Issac, un juif martiniquais, et enfin le couscous renommé de la rue François-Miron.

Un livre de famille exposé

Les mois de préparation en amont de l’exposition ont été l’occasion pour le commissaire d’aller à la rencontre des habitants du Pletz, au-delà de la seule évocation de lieux de mémoire : « Nous avons montré aux habitants des tirages des photographies. Certains ont reconnu une mère, une fille, parfois un commerçant. » Une aide précieuse pour le musée, qui lui aura permis de retranscrire au plus près les détails de cette vie de quartier : « Grâce à ces témoignages, nous avons pu retrouver des noms de rues et d’habitants. Nous continuons encore à ajouter des légendes à nos photos », note le commissaire.

C’est le cas de ce boucher, Norbert Tordjman, immortalisé avec son chien devant sa boutique au 10, rue des Écouffes, identifié grâce à son fils Henri, le nouveau propriétaire de la boucherie. Ou encore les deux petites filles Isabelle et Émilie Zeitoun, souriant devant l’école, reconnues par leur mère qui habite toujours dans la maison familiale rue des Écouffes. « La mère était ravie de revoir des photographies de ses filles devenues grandes. Pour beaucoup, cette exposition est un livre de famille », indique le commissaire.

Par ses portraits, Alécio de Andrade immortalise aussi des habitants. Une vieille dame portant un long manteau d’hiver lui donnant l’aspect d’une Russe, à l’angle de la rue des Hospitalières-Saint-Gervais et de la rue des Francs-Bourgeois. M. Alter, soulevant des cartons devant la boulangerie Finkelsztajn du 24, rue des Rosiers. Au 19, rue des Écouffes, parmi une troupe d’enfants agglutinés devant l’école religieuse se trouvent Isabelle Zeitoun et Nathalie Abitbol au premier plan, et juste derrière elle, Émilie Zeitoun. À quelques pas, Mardochée Achour, surnommé « Maho », fume devant le salon d’Art et de coiffure du 22, rue des Écouffes, ou encore ces deux bouchers : Pierre et le propriétaire de la boucherie Emouna, au 25, rue des Rosiers, qui attendent le client. Ces scènes  offrent aux visiteurs un témoignage authentique de la vie quotidienne.

Une vie religieuse préservée

Les fêtes communautaires rythment également le quotidien de ces familles d’immigrés. Le photographe saisit le portrait d’un jeune couple coiffé d’un voile lors d’un mariage traditionnel dans la synagogue de la place des Vosges. Une cérémonie célébrée sous l’œil du photographe, par le rabbin Charles Liché portant l’habit traditionnel, un ancien déporté très respecté dans la communauté juive. Cette petite synagogue avait été construite selon le rite ashkénaze dans un ancien oratoire place des Vosges, alors qu’elle abritait une forte population séfarade. Certains clichés montrent des moments de la prière ou d’étude religieuse, telle cette photographie d’un fidèle à la synagogue dite le « temple nord-africain », rue des Écouffes, ou encore celle du fils de M. Melloul récitant un extrait de la Torah à la synagogue des Tournelles.

Ces images retracent également les souffrances subies par les juifs au XXe siècle. C’est le cas de la photographie d’une dame âgée, Madame Rosa Tzewick, rescapée d’Auschwitz, sur le pas de sa porte entrouverte au 2e étage du 19, rue des Rosiers. Handicapée, elle attend que ses voisins lui rapportent ses courses. Une histoire également présente dans cet autre cliché du restaurant Jo-Goldenberg à l’angle du 7, rue des Rosiers, qui fut la cible d’un attentat antisémite en 1982, provoquant six morts et vingt-deux blessés. Le magasin de vêtement qui l’a aujourd’hui remplacé n’a gardé en souvenir que les mosaïques de la devanture.

L’objectif du musée est de redonner ainsi vie à l’histoire de ce quartier, en identifiant notamment les personnes immortalisées par le photographe : il a, pour ce faire, lancé un appel afin de recueillir des témoignages de l’époque. Une autre manière de rendre hommage au photographe lusophone attaché aux habitants du Pletz.

 

Source : Le Monde des Religions.fr

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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