Mohamed Loueslati « Sans aumôniers musulmans, la radicalisation en prison se développera »

      Mohamed Loueslati, aumônier musulman des prisons, prône le dialogue comme rempart contre la radicalisation en milieu carcéral. Dans L’islam en prison*, il évoque une mission sociale et humaine semée d’embûches.

 

Jour et nuit, nuit et jour : la tâche de Mohamed Loueslati n’en finit pas. Aumônier musulman, il se déplace et se dévoue depuis quinze ans dans les prisons du Grand Ouest pour apporter un soutien spirituel et moral à une communauté aujourd’hui majoritaire dans le milieu carcéral français. Ici, les détenus sont de plus en plus nombreux à s’être radicalisés, prônant un islam violent. Un fléau contre lequel l’aumônier entend se battre.

Un rôle majeur

Pour Mohamed Loueslati, un seul mot d’ordre pour sauver ces détenus de la dérive islamiste : le dialogue. La majorité d’entre eux a en effet grandi sans père, avec une mère souvent absente, une situation les obligeant à vaguer de famille d’accueil en famille d’accueil. Sans parler de leur formation professionnelle, la plupart du temps inexistante. Il s’agit donc pour l’aumônier de tisser un lien solide avec ces détenus, afin de leur offrir le cadre qu’ils n’ont jamais eu. « Les démarches individuelles représentent le cœur du travail de l’aumônier, confie Mohamed Loueslati. Je me déplace alors dans les cellules pour créer un climat de confiance avec les détenus. »

Ces derniers réalisent d’ailleurs rapidement le rôle majeur de l’aumônier de prison. Mohamed Loueslati a par exemple œuvré pour mettre en place des cantines halal dans l’Ouest de la France. Si, auparavant, les détenus faisaient passer « la viande au-dessus des grillages », faisant fi des mesures d’hygiène, des boucheries musulmanes acceptent aujourd’hui, grâce à l’action Mohamed Loueslati, de livrer dans les prisons. L’aumônier a également obtenu l’autorisation pour les pratiquants d’acheter des tapis de prière avec leur argent. Ce genre d’actions permet aux détenus de « réaliser qu’on s’intéresse à eux ».

Absence de statut

Essentielle, la fonction d’aumônier musulman en prison ne récolte pourtant pas ce qu’elle sème. Ce travail à temps plein n’est, encore aujourd’hui, pas reconnu. Aucun salaire n’est donc versé aux aumôniers, qui doivent compter sur un second emploi pour cotiser et espérer percevoir une retraite.

Pourtant, la loi de 1905 prévoit un tout autre sort à cette fonction à la fois sociale et humaine. L’article 2 stipule en effet : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (…) Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets [de l’État] les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissement publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. »

En regard de cette loi, l’État rémunère les aumôniers dans les milieux hospitalier et militaire. Quant au budget alloué aux prisons, il varie en fonction de la religion. « L’État donne 1,2 million d’euros à l’Église catholique pour rémunérer ses aumôniers. Ce n’est pas du tout le cas pour les musulmans », observe Mohamed Loueslati. On compte aujourd’hui 182 aumôniers musulmans dans les prisons françaises, contre 681 aumôniers catholiques. Un non-sens quand on sait que plus de la moitié des détenus sont d’origine musulmane.

Le budget attribué aux aumôniers musulmans par l’État leur permet à peine de rembourser leurs frais de transports. « L’administration pénitentiaire nous donne de faibles indemnités, généralement comprises entre 200 et 400 euros par mois, nous confie Mohamed Loueslati. Qui voudrait exercer cette fonction à plein temps ? »

L’aumônier essaie tant bien que mal de convaincre de nouvelles personnes de le rejoindre dans cette mission. Car « on ne peut déradicaliser en France et lutter contre le terrorisme sans aumôniers : si on agit seulement sur le plan sécuritaire, on se prive de tout ce qui est culturel et intellectuel. Or, la délinquance est un mode de pensée, et seul le dialogue peut lutter contre ça ». Un argument qui prend tout son sens lorsque l’on constate que la durée moyenne de l’emprisonnement ferme prononcée en matière de délits est de 7, 7 mois seulement et que 61 % des sortants de prison sont réincarcérés dans les cinq ans.

Confiance en l’avenir

Mohamed Loueslati mène donc un combat quotidien auprès de l’administration pénitentiaire afin d’obtenir une révision du statut d’aumônier, seul moyen pour lui de lutter efficacement contre la radicalisation dans les prisons. Mais il doit bien souvent faire face à une « image réductrice du milieu carcéral » : « L’État n’a pas réalisé que la prison a changé. Or, nous sommes aujourd’hui obligés de tenir compte de la spécificité musulmane, puisque la population carcérale est à majorité musulmane. »

Mohamed Loueslati regrette, par exemple, que les décisionnaires et fonctionnaires français n’aient pas davantage de connaissances de l’islam : « Quand j’ai rencontré les responsables de l’administration pénitentiaire dans le Grand Ouest, où il n’y avait à l’époque aucun aumônier, tous me disaient que ce n’était pas possible de faire le prêche le vendredi après-midi à cause des parloirs organisés au même moment. On m’a alors dit “Ce serait bien que vous fassiez votre prière du vendredi un mardi ou mercredi.” Mais si je veux rester crédible vis-à-vis des musulmans incarcérés, je ne peux pas faire n’importe quoi ! »

Au final, c’est toute la thématique des prisons et de l’islam qui est soumise à des difficultés en France. Difficultés sur le plan religieux d’abord, puisque la religion musulmane n’est pas dotée d’un clergé. Les aumôniers musulmans ne peuvent donc pas compter sur leur hiérarchie pour être rémunérés, comme c’est le cas pour les aumôniers catholiques. De même, l’absence de clergé musulman favorise la montée d’un islam rigoriste, diffusé par des imams autoproclamés. Enfin, les difficultés sont d’ordre politique puisque l’islam est devenu un thème brûlant : « La délinquance et la radicalisation sont des maux que l’on sait traiter, mais personne ne veut le faire pour des raisons électorales, pointe Mohamed Loueslati. Il nous faut des hommes politiques courageux pour le bien du pays. »

L’aumônier félicite par exemple l’initiative – restée vaine – de Dominique de Villepin de créer une fondation pour collecter de l’argent auprès de donateurs et financer la formation des imams et la construction de mosquées. Si cette fondation n’a pas vu le jour, l’idée demeure présente dans l’esprit de Mohamed Loueslati, qui y voit l’occasion de réduire l’influence étrangère sur l’islam de France : « Aujourd’hui en France, beaucoup d’imams ne connaissent rien à l’islam et ne font pas de prêche en français », regrette-t-il.

Lorsqu’on lui demande s’il est confiant, Mohamed Loueslati n’hésite pas à répondre positivement. « Les choses avancent petit à petit certes, mais elles avancent. » Par exemple, treize universités françaises proposent un enseignement sur la laïcité et les faits religieux que « les aumôniers et les imams pourront suivre avant d’entamer leur carrière ». Dans le même temps, le budget de l’État alloué à l’aumônerie musulmane augmentera, permettant la création de soixante postes d’aumôniers musulmans au cours des trois prochaines années. Une façon pour l’islam « de rattraper son retard face à l’aumônerie catholique ».

 

Le Monde des Religions.fr

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

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