À Gaza, alors que la famine risque d’avoir des conséquences dramatiques à long terme sur la santé physique et mentale de la population civile, en plus des décès immédiats, plus de 500 neuroscientifiques et professionnels de santé appellent les gouvernements internationaux à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il se conforme à l’avis de la Cour Internationale de Justice demandant de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire.
Nous, professionnels de la santé publique et mentale et chercheurs en neurosciences du monde entier, appelons les gouvernements internationaux à faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il se conforme à l’avis de la Cour Internationale de Justice (CIJ) du 22/10/2025 demandant de faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza, et ainsi mettre fin à la famine qui y sévit. Cette famine, qui selon l’ONU est provoquée par l’homme, risque d’avoir des conséquences dramatiques à long terme sur la santé physique et mentale de la population civile, en plus des décès immédiats. Tout en condamnant clairement toutes les attaques contre les civils des deux côtés, nous considérons que ce double prix payé par la population civile palestinienne ne peut être moralement ni légalement acceptable en tant que stratégie de représailles.
L’une des conséquences subies par les populations civiles dans tous les conflits armés est la difficulté d’accès aux ressources alimentaires. Lorsque ces difficultés entraînent une malnutrition généralisée et des décès liés à la faim, une famine s’ensuit. Les Nations Unies utilisent le cadre intégré de la classification de la sécurité alimentaire pour évaluer la situation d’un pays en matière de sécurité alimentaire. Une famine est déclarée lorsque au moins 20 % de la population est confrontée à une pénurie alimentaire extrême, que le taux de malnutrition aiguë dépasse 30 %, et que deux personnes sur 10 000 meurent de faim chaque jour. En se fondant sur ces critères, les Nations Unies ont démontré l’existence d’une famine « provoquée par l’homme » à Gaza.
Au-delà des horreurs immédiates auxquelles ces populations sont confrontées, la famine a également des conséquences majeures à long terme sur la santé physique et mentale. Ces répercussions sont encore visibles plusieurs décennies après un épisode de famine. Une étude récente a montré que les personnes nées pendant la famine ukrainienne de 1932-1933 présentaient un risque deux fois plus élevé de développer un diabète de type 2 que les personnes non exposées ou moins exposées nées entre 1930 et 1938. Ce risque accru vaut également pour les enfants des femmes enceintes pendant une période de famine, une fois qu’ils atteignent l’âge adulte. D’autres études épidémiologiques sur les famines en Ukraine dans les années 1930, aux Pays-Bas pendant l’hiver 1944 et en Chine dans les années 1960 ont également mis en évidence des liens avec d’autres maladies chroniques telles que les maladies cardiovasculaires et un risque accru d’infection et de cancer (voir ici et là).
Les effets des famines sont également visibles sur le développement cognitif et la santé mentale. Une carence nutritionnelle précoce peut causer des dommages irréversibles au cerveau. Il a été démontré que l’exposition prénatale à la sous-alimentation est associée à une augmentation des anomalies du système nerveux central à la naissance, à une diminution des fonctions cognitives à l’âge adulte et à un risque accru de développer des troubles mentaux tels que la schizophrénie et la dépression chez les personnes âgées (voir ici et là). Les épisodes de malnutrition sévère aux Barbades dans les années 1960 et 1970 ont quadruplé la fréquence des diagnostics de trouble du déficit de l’attention chez les adultes 25 à 30 ans plus tard. Des études scientifiques permettent également de mieux comprendre les mécanismes des effets à long terme de la famine sur la santé. Par exemple, l’analyse de cas historiques indique que la diminution du soutien social, le statut socio-économique inférieur et le soutien intergénérationnel insuffisant sont les principaux facteurs médiateurs par lesquels l’expérience de la famine influence les niveaux de dépression chez les personnes âgées. Ces effets mentaux à long terme de la famine s’ajoutent à d’autres troubles mentaux chroniques, tels que le syndrome de stress post-traumatique, connu pour toucher une proportion importante des survivants de la guerre et des conflits. En 2020, on estimait qu’environ la moitié des enfants de Gaza souffraient d’un syndrome de stress post-traumatique. On estime que cette situation s’est aggravée avec la guerre actuelle. Ce syndrome touche également les soldats israéliens qui reviennent de Gaza.
Imposer une famine « provoquée par l’homme » comme arme de guerre, comme le fait le gouvernement israélien contre la population de Gaza(1), a donc non seulement des conséquences immédiates, désastreuses et mortelles, mais augmente également le risque d’autres conséquences désastreuses dans les décennies à venir. Il s’agit là d’une double punition infligée à la population civile de Gaza. Compte tenu des multiples effets négatifs de la famine, la famine intentionnelle fait partie des actes inhumains qui constituent un crime contre l’humanité dans l’article 7 du statut de la cour pénale internationale.
Nous appelons donc tous nos concitoyens à exiger que tous les gouvernements exercent des pressions décisives sur Israël pour qu’il mette immédiatement fin à cette famine « provoquée par l’homme », comme l’ont démontré les Nations Unies. Nous appelons également les parlementaires de tous les pays à inclure explicitement la famine organisée contre une population comme crime contre l’humanité dans leur législation.
Mediapart
